La preuve par le libre arbitre
L'argument fondé sur l'existence du libre arbitre, similaire à l'argument fondé sur la rationalité, cherche à montrer que le matérialisme athée est incapable de rendre compte de l'existence d'un libre arbitre authentique. On peut le présenter ainsi 158 :
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Si le matérialisme athée est vrai, alors mes actions et mes choix ne sont que le fruit d'un processus chimique et moléculaire déterminé, qui a lieu dans mon cerveau.
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Si mes choix ne sont que le résultat d'un processus chimique et moléculaire déterminé qui a lieu dans mon cerveau, alors je n'ai pas de libre arbitre.
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Or, j'ai un libre arbitre.
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Donc le matérialisme athée est faux.
Les prémisses n° 1 et 2 sont très peu controversées dans la pensée athée matérialiste. En effet, si le matérialisme athée est vrai, alors toutes nos actions sont le résultat de ce que l'interaction moléculaire produit dans nos cerveaux. Si Dieu n'existe pas pour nous donner un libre arbitre capable de transcender ce monde matériel, eh bien nous sommes tout simplement des machines réglées et déterminées à l'avance par les lois qui dirigent notre Univers. Les particules qui régissent notre intellect, selon la pensée matérialiste athée, obéissent à des lois physiques particulières, et ce ne sont pas à elles de choisir ou non d'obéir à ces lois. Comment pourrait-il y avoir une émergence soudaine d'un choix, alors que ces molécules qui régissent notre pensée, elles, n'ont pas de choix ?
La réponse de Thomas Durand à cet argument consisterait à remettre probablement en cause l'existence du libre arbitre. Et à cette fin, il affirme : « Tout d'abord, il faudrait démontrer l'existence du libre arbitre. [...] Nous n'avons pas plus de preuve de l'existence d'un authentique libre arbitre que nous n'en avons pour l'âme ; cela ne signifie pas que nous devons nier son existence, mais qu'on ne peut en aucun cas la poser en prémisse d'un raisonnement sérieux » (p. 173).
Nous avons ici un exemple typique de la mauvaise épistémologie du zététicien. D'après lui, tant que nous n'avons pas de preuve absolue (entendre par là « scientifique ») de l'existence de X, alors nous ne sommes pas tenus de croire X et encore moins d'utiliser X comme prémisse d'un raisonnement.
Mais cette épistémologie du scepticisme radical ne tient pas la route. Elle détruirait la quasi-totalité de nos connaissances. Je n'ai pas la preuve absolue que je ne vis pas dans la matrice, pourtant il m'est rationnel de croire que je n'y suis pas. Il s'agit d'une de mes intuitions basiques. Le philosophe Alvin Plantinga fonde d'ailleurs une bonne partie de son épistémologie sur la fiabilité de nos croyances proprement basiques 159 qui ne demandent aucune justification pour être raisonnablement crues. Par exemple, il est rationnel de croire que d'autres personnes existent autour de moi, même si je n'ai pas la preuve absolue de leur existence 160. Je n'ai pas besoin de démontrer une croyance aussi basique pour la considérer comme vraie. De même, je n'ai pas à démontrer l'existence du libre arbitre pour tenir pour vraie ma forte intuition que j'ai un libre arbitre.
Cette position est fondée sur l'épistémologie du « conservatisme phénoménal », qui se formule ainsi : il est rationnel pour un agent A de croire p s'il a la très forte intuition que p est vrai et qu'il n'existe pas de raisons suffisantes de remettre en question la vérité de p 161.
Le principe s'applique aussi au libre arbitre : si vous avez la très forte intuition que vous êtes libre et que vous n'avez aucune raison de remettre en doute cette intuition, alors il est rationnel de croire que vous êtes libre.
Cela étant dit, nous pensons avoir au moins deux bonnes raisons d'affirmer que nous avons un libre arbitre.
Pas de libre arbitre ⇒ pas de responsabilité morale
Premièrement, la négation du libre arbitre implique nécessairement la négation de toute responsabilité morale de nos actes. En effet, si le libre arbitre n'existe pas, alors toutes nos actions sont prédéterminées. Cela veut dire que le criminel, le violeur d'enfant ou le terroriste ne sont pas, en réalité, moralement coupables de leurs actions, puisque celles-ci sont le fruit des lois de la physique. Vous pouvez toujours les mettre en prison pour les empêcher de nuire à autrui, mais vous ne pouvez pas les accuser d'avoir fait quoi que ce soit, puisqu'une telle accusation présuppose qu'ils auraient pu faire autrement. Staline n'est donc pas moralement coupable des atrocités bolchéviques et il serait stupide de l'accuser de cela, car il n'y est pour rien ! Les interactions moléculaires dans son cerveau l'ont déterminé à le faire. Thomas Durand est-il vraiment prêt à croire cela ? Dans ce cas-là, pourquoi s'offusque-t-il lorsque des islamistes se font exploser au nom d'Allah ? Si le matérialisme athée est vrai, alors ils n'y sont pour rien. Il serait absurde de porter un jugement moral sur quelqu'un qui n'est moralement pas coupable de ses actes.
Or, il est évident à toute personne de bon sens que nous sommes moralement responsables de nos actes. Si je viole une fillette de deux ans, je suis moralement coupable de cet acte. J'ai agi de matière atroce. Si vous croyez à la notion de responsabilité morale, alors il vous faut nécessairement reconnaître que nous avons un libre arbitre qui nous permet de choisir entre le bien et le mal. Le principe d'épistémologie du conservatisme phénoménal, énoncé ci-dessus, s'applique également à la notion de responsabilité morale. Il est rationnel de croire que nous sommes moralement responsables de nos actes tant que nous n'avons pas de bonnes raisons de penser le contraire. Il s'agit là d'une croyance basique qui ne demande aucune justification externe.
Pas de libre arbitre ⇒ pas de rationalité
Un deuxième argument en faveur de l'existence du libre arbitre est que, sans libre arbitre, il nous serait impossible d'avoir une démarche rationnelle à proprement parler. En effet, la raison est la « faculté de l'intelligence qui consiste à poser un jugement logique sur un ensemble de propositions issues de l'observation du réel, en vue d'aboutir à une conclusion ». C'est un processus qui dépend du libre arbitre, car vous devez avoir la capacité de poser un jugement logique avant de choisir entre diverses options, pour dire que vous avez eu une démarche rationnelle au sens propre. On ne peut pas dire, par exemple, qu'une calculatrice a une quelconque démarche rationnelle, car elle n'a fait que donner le résultat pour lequel elle a été programmée (par son constructeur).
Faisons l'expérience de pensée suivante : imaginons qu'une personne soit portée à croire qu'elle est une licorne rose. Si le libre arbitre n'existe pas, elle est arrivée à cette conclusion via une méthode déterministe qui est complètement en dehors de son contrôle. Il est donc impossible de dire qu'elle est irrationnelle (puisqu'elle n'a pas pu construire de raisonnement ou poser de choix pour aboutir à cette conclusion farfelue). De la même manière, un robot qu'on aurait programmé pour effectuer des calculs ne serait pas un agent rationnel, car il ne raisonne pas : il aboutit à des résultats en fonction des conditions initiales qu'on lui a implantées. C'est la même chose avec ceux qui croient au déterminisme. En effet, si toutes les personnes ont leurs croyances prédéterminées par les lois qui régissent l'Univers, elles ne sont pas libres de choisir entre les affirmations vraies ou fausses et l'on ne peut pas dire qu'elles sont des agents rationnels. En conclusion, la personne qui nie l'existence du libre arbitre ne peut avoir aucune justification rationnelle pour chacune de ses croyances (y compris l'athéisme).
Le philosophe Greg Bahnsen résume cela de manière magistrale :
« Si le matérialisme est vrai, alors toute personne qui professe le matérialisme le fait parce que son cerveau lui a imposé, par les lois de la physique, de la chimie et de la biologie, de le dire. Ce n'est pas comme si elle avait la liberté et la conscience de soi nécessaires pour réfléchir à différentes théories, évaluer les preuves, et faire un choix pour connaître la vérité. Ils [les matérialistes] doivent simplement dire ce qu'ils ont à dire. Il est donc assez ironique qu'un matérialiste fasse la promotion du matérialisme en essayant de dire aux gens qu'une telle vision du monde est vraie et que vous devriez croire cela et non en Dieu. En effet, si le matérialisme est vrai, et que votre cerveau ne dépend que des lois de la physique, alors vous n'avez aucune raison de croire que le matérialisme est vrai. Ce sont simplement les lois de la physique qui vous obligent à dire cela. [...] Tout comme je suis forcé par les lois de la physique de dire le contraire. [...] Il n'y a pas de liberté de choisir la vérité plutôt que l'erreur. Il n'y a que les lois de la physique qui poussent mon cerveau à dire et à faire tout ce qu'il fait 162. »
Il est donc absurde de nier l'existence du libre arbitre. Sa négation violerait toute notion de responsabilité morale et nous empêcherait d'avoir des connaissances rationnelles à proprement parler. Et comme le matérialisme athée est incapable de rendre compte de l'existence de ce libre arbitre, il nous faut postuler l'existence d'une cause proportionnée à l'effet, à savoir une cause immatérielle qui transcende les lois de la physique nous permettant de poser de véritables actes libres. C'est cette cause immatérielle, intelligente et libre qui nous précède dans l'existence que nous appelons Dieu.