La preuve par la raison

La preuve par la raison consiste à montrer que, sans un esprit créateur suprêmement intelligent de l'Univers, source de la rationalité, il est impossible de construire un monde rationnel comme le nôtre. En d'autres termes, le matérialisme athée est incapable de rendre compte de l'existence de la rationalité humaine, puisque les atomes sont en eux-mêmes incapables d'engendrer une quelconque rationalité 155.

Thomas Durand nous fait savoir qu'un de ses présupposés est que « le monde est compréhensible par l'esprit humain » (p. 107). Or, il ne cherche pas à expliquer ce présupposé. En quoi ne mériterait-il pas une explication ? Qu'est ce qui rend le monde intelligible par notre intellect, après tout ? D'où viennent cette intelligence et cette rationalité dont nous sommes dotés ? De la matière inerte ? Voilà précisément la question à laquelle le zététicien doit répondre.

Nous constatons tous que le monde est compréhensible par l'esprit humain. Mais le fait que nous partagions ce constat n'enlève en rien le besoin d'explication. Pour les théistes, Dieu a créé l'intelligence et la rationalité humaine pour que nous puissions comprendre sa création. Mais d'un point de vue athée, comment se fait-il qu'un tas d'atomes et de particules puisse produire une pensée capable de faire un raisonnement et de comprendre des concepts abstraits ? Telle est la question que Thomas Durand refuse d'aborder dans ce chapitre. Pourtant, c'est bel et bien de cela qu'il doit traiter. Il se contente de nous présenter l'argument de C. S. Lewis sur l'irréductibilité de la raison ainsi : « Pour Lewis, le naturaliste est illogique car il pense : 1. que la raison est le seul instrument fiable pour comprendre l'univers, et 2. que la raison est le produit dérivé d'un processus aveugle qui n'implique que la matière, c'est-à-dire un processus dont rien ne garantit que son résultat soit le moins du monde fiable » (p. 108). Il y répond comme suit : « L'argument présenté par Lewis confond le processus biochimique, privé de la moindre pensée rationnelle, avec le résultat du fonctionnement du cerveau qui est, de toute évidence, capable de produire une pensée originale et cohérente avec les observations de l'individu. [...] C'est l'existence de cette pensée cohérente qui produit la raison, indépendamment des mécanismes par lesquels cette pensée rationnelle parvient à l'existence » (p. 108-109).

Mais ceci n'est pas une réponse à l'argument. Thomas Durand n'explique pas en quoi la matière seule serait ontologiquement capable de produire un processus rationnel par elle-même. Il se contente d'affirmer que c'est le cas et que le processus biochimique privé de la moindre pensée rationnelle a pu produire une pensée cohérente et rationnelle. Or, l'argument de Lewis consiste précisément à nier cela ! Il nie le fait que la rationalité puisse surgir de la non-rationalité. Thomas Durand passe donc complètement à côté de la question. Il ne nous explique en aucune façon comment la pensée cohérente peut jaillir d'un tas d'atomes de carbone. Affirmer que le cerveau a « de toute évidence » été capable de produire une pensée originale n'est pas une réponse au problème, mais un moyen de l'esquiver.

L'évolutionnisme à la rescousse ?

Un peu plus loin dans son chapitre, Thomas Durand finit tout de même par proposer une semi-explication de l'existence de la rationalité dans son monde matérialiste :

« Si les conclusions auxquelles nous parvenons sont généralement correctes, c'est parce que, depuis des millions d'années, la sélection naturelle a sanctionné les organismes dotés d'un cerveau qui les conduisait à de mauvaises décisions. Au fil des générations, les principes de la logique ont été traduits biologiquement dans le comportement des organismes. [...] Notre logique a besoin d'un aspect expérimental qui lui permette de sélectionner les bonnes idées en éliminant toutes les mauvaises. Dès lors, notre rationalité n'a rien de mystérieux : nous sommes rationnels parce que nous n'avons pas le choix » (p. 109).

L'explication évolutionniste du zététicien n'est pas convaincante. La sélection naturelle a pour finalité de permettre à l'espèce de survivre, pas de lui octroyer des croyances vraies. Par conséquent, si le matérialisme évolutionniste est vrai, alors la sélection naturelle détermine nos croyances non pas en vertu de la véracité de leur contenu, mais en vue de leur capacité à nous faire survivre. En clair, la position évolutionniste et darwinienne soutient que, si une croyance X est plus propice qu'une autre à ma survie dans un monde hostile, alors le processus de sélection naturelle la sélectionnera.

Le problème est que la survie n'est pas nécessairement corrélée à la vérité (ou à la rationalité). Des croyances vraies peuvent être néfastes à notre survie, et des croyances fausses peuvent être tout à fait propices à notre survie 156.

De plus, si la sélection naturelle était nécessairement corrélée à la production de croyances vraies et à la rationalité, alors la sélection naturelle devrait programmer tous les hommes pour agir rationnellement tout au long de leur vie. Or, ce n'est manifestement pas le cas. Par conséquent, étant donné que les notions de rationalité ou d'irrationalité ne sont pas nécessairement corrélées à la survie de l'espèce, l'évolutionnisme de Thomas Durand est incapable d'expliquer pourquoi il existe de la rationalité dans le monde.

L'intelligence divine et la génération spontanée

Lorsque nous disons qu'une cause non intelligente et non rationnelle n'a pas les ressources internes pour produire un effet intelligent et rationnel, Thomas Durand objecte :

« L'intelligence est une propriété de la vie qui a mis plusieurs milliards d'années pour apparaître sur la Terre. Cela est en contradiction avec l'idée que cette propriété existerait avant qu'un tel processus ait lieu. Poser l'existence de Dieu à l'origine de l'univers revient à croire en la génération spontanée de l'intelligence » (p. 57).

D'après lui, croire en un Dieu créateur reviendrait à croire en la génération spontanée de l'intelligence. Soyons sérieux : si Dieu existe, alors son intelligence est incréée. Elle n'émane pas d'une quelconque « génération spontanée ».Thomas Durand pense que, puisque l'intelligence a mis des milliards d'années à apparaître sur Terre, cela entrerait en contradiction avec l'idée que l'intelligence existait « avant » la création de l'Univers.

Mais cette affirmation est tout simplement fausse. Le fait que l'intelligence soit apparue tardivement dans le processus évolutif n'implique en aucune façon que le créateur de l'Univers ne soit pas intelligent. C'est même tout le contraire ! Le principe de causalité proportionnelle nous enseigne que la cause doit avoir les ressources internes nécessaires pour produire l'effet. C'est précisément pour cela qu'il faut postuler l'existence d'une cause intelligente et rationnelle qui nous précède dans l'existence et qui est la source de ces facultés.

Le matérialiste est obligé de croire qu'un monde purement matériel et non intelligent aurait pu produire un effet intelligent et capable de rationalité. C'est tout simplement une violation du principe de causalité proportionnelle. Au contraire, poser une intelligence créatrice de l'Univers permet de rendre compte de l'existence de l'intelligence et de la rationalité sur Terre 157.

Notes de bas de page

155 Victor Reppert est probablement l'expert le plus renommé de l'argument. Voir Victor Reppert, « The Argument from Reason », in W. L. Craig et J. P. Moreland, The Blackwell Companion to Natural Theology, Blackwell, 2009, p. 344-390. Voir aussi James Ross, « Immaterial Aspects of Thought », The Journal of Philosophy, vol. 89, 1992, p. 136-150 ; William Hasker, The Emergent Self, Cornell University Press, 1999, et « What is Naturalism? And Should We Be Naturalists? », Philosophia Christi, vol. 15, 1, 2013, ch. 6, p. 21-34.
156 Par exemple, croire que je vais guérir d'une maladie quasi incurable n'est pas une croyance rationnelle. Pourtant, d'un point de vue médical, cette croyance peut être tout à fait bénéfique pour ma survie, grâce à l'effet placebo.
157 D'un point de vue purement bayésien, on pourrait formuler les choses ainsi : soit I = « l'intelligence existe sur terre », R = « la rationalité existe sur terre » et D = « Dieu existe ». On a : P(D|I&R)≫P(non(D)|I&R). Autrement dit, l'existence de Dieu est beaucoup plus probable que sa non-existence, sachant que nous vivons dans un monde avec de l'intelligence et de la rationalité.