La preuve par la conscience

La conscience est un phénomène fascinant. On peut la définir comme la capacité de se considérer soi-même comme un sujet existant. Il s'agit aussi de l'aptitude à percevoir son intériorité en étant présent à soi-même. Nous en faisons l'expérience quotidiennement. Une question fondamentale se pose donc : quelle est la meilleure explication de l'existence de la conscience ?

Nous pensons avoir de bonnes raisons de pencher pour l'option théiste 163. En effet, si Dieu existe, alors il n'est pas du tout improbable qu'il ait choisi de créer des êtres conscients, qui puissent être en relation avec lui. Grâce à sa toute-puissance, il est capable de créer un monde à la fois matériel et immatériel, propice à l'existence d'êtres conscients. En revanche, s'il n'existe pas une intelligence suprême créatrice de l'Univers capable de générer un monde à la fois matériel et immatériel avec des êtres conscients, alors comment se fait-il qu'un monde purement matériel et non conscient ait pu produire un effet conscient ? Comment un assemblage d'atomes serait-il susceptible de « se considérer lui-même comme un sujet existant » ? Comment un tas de molécules pourrait-il être « capable d'introspection » ? Telles sont les questions que le matérialisme athée est incapable de résoudre.

D'après Thomas Durand, « le fait que le cerveau soit conscient n'implique nullement que les cellules ou les atomes qui le composent soient eux-mêmes conscients, pas plus que le fait qu'une plante soit carnivore n'implique que les molécules qui la composent soient elles-mêmes carnivores » (p. 112).

Évidemment, le fait que nous soyons conscients n'implique nullement que chacune des parties de notre corps (y compris nos cellules) soient conscientes. De même, le fait qu'une voiture puisse rouler n'implique pas que chacune de ses parties puisse rouler. Aucun théiste ne dira le contraire ! Ce serait un sophisme de composition. Nous disons, en revanche, qu'il est impossible de réduire la conscience à nos connexions cérébrales, précisément parce qu'il est en principe impossible qu'une cause purement matérielle puisse produire un effet qui la dépasse ontologiquement (à savoir une capacité d'introspection).

Corrélation n'est pas causalité

Thomas Durand objectera sans doute (comme la plupart des matérialistes) que la conscience est radicalement dépendante du cerveau (un scanner permet d'observer sur un patient les zones d'activation de son cerveau) et qu'elle est, par conséquent, un phénomène réductible aux connexions neuronales. Cette vision réductionniste commet l'erreur de croire que, puisque la conscience dépend du cerveau pour fonctionner, alors elle peut se réduire au fonctionnement cérébral. Or, dire cela serait commettre un parfait non sequitur. Le fait que A soit dépendant de B n'implique en aucun cas que A puisse se réduire à B. Le fait qu'un peintre dépende de son pinceau pour peindre n'implique pas que le peintre puisse se réduire à son pinceau.

Bien qu'elle dépende du système nerveux, la conscience possède des qualités qui sont en elles-mêmes irréductibles à une constitution atomique. Les sentiments de « présence à soi-même », la capacité d'abstraire des concepts mathématiques ou de philosopher sont des facultés qui dépassent intrinsèquement ce dont est capable le monde atomique. C'est précisément la raison pour laquelle notre conscience ne saurait se réduire à l'interaction moléculaire. La raison nous porte donc à postuler l'existence d'une cause proportionnée à l'effet 164.

Un appel à l'ignorance ?

Thomas Durand estime que notre position antiréductionniste est une forme d'« appel à l'ignorance » et que, « en l'état actuel de nos connaissances, elle [la conscience] est une propriété émergente du fonctionnement cérébral » (p. 111-112).

Mais ce que Thomas Durand qualifie d'appel à l'ignorance est en réalité l'usage d'un principe bien connu en métaphysique, le « principe de causalité proportionnelle ». Il énonce que la cause ne peut pas produire un effet qui la dépasse ontologiquement. Comment les atomes pourraient-ils produire des émotions ? Comment pourraient-ils générer un être comme vous en train de philosopher ? Comment des réactions chimiques et des signaux électriques pourraient-ils susciter des sentiments tels que la joie, la tristesse ou, plus profondément, l'amour ? Comment de la matière inerte sans intentionnalité pourrait-elle produire des êtres capables de ressentir, conceptualiser des choses abstraites, etc. ? Parler de « propriété émergente » n'est donc pas du tout une position par défaut, mais une interprétation contestable.

À ce stade, Thomas Durand répondrait sans doute : « Toutes ces questions pourront être résolues à l'avenir ! On a longtemps cru qu'on ne pourrait jamais expliquer la vie, et la science y est finalement parvenue ! Alors, pourquoi pas la conscience ? »

Cette généralisation serait pourtant une lourde erreur, car elle trace une continuité illusoire là où il existe, en réalité, un fossé infranchissable 165. La science ne sera jamais en mesure d'expliquer la conscience en principe, puisqu'elle est d'une tout autre nature que les phénomènes physiques. Rappelons-le, la science n'étudie que ce qui dépend des lois physiques. Or, la « présence à soi » ou le « sentiment intérieur » n'ont aucun lien logiquement nécessaire avec les structures spatiales de nos connexions neuronales. Vous pouvez entasser toutes les précisions imaginables sur le fonctionnement du cerveau, il restera toujours la même question : pourquoi cette structure physique très complexe, capable de toutes sortes de fonctions raffinées, est-elle accompagnée d'une conscience personnelle (un sentiment « en première personne ») ?

Aucune précision supplémentaire, à base de propriétés structurelles et fonctionnelles, ne pourra jamais répondre à cette question. Cela ne tient pas à notre pessimisme, mais à des raisons de fond : la réalité émergente en question (la capacité de se considérer comme un sujet existant) ne peut être déduite d'une quelconque structure moléculaire, au même titre que la perception d'un son ne peut être déduite d'une longueur d'onde. Il y a une différence de nature. De même, il n'est pas possible de déduire une apparence colorée d'un certain nombre de hertz ni d'expliquer la sensation d'émerveillement que nous ressentons en écoutant Mozart, en se basant sur la partition de musique. C'est impossible en principe.

De la même manière, nous savons a priori que progresser dans les structures et les fonctions étendues du cerveau ne permettra jamais d'expliquer le jaillissement d'une intériorité vécue. Autant les capacités fonctionnelles du cerveau se déduisent logiquement de ce que les neurosciences nous apprennent, autant la conscience ne s'en déduit pas.

Compte tenu de la différence de nature entre la conscience et les structures physiques proposées comme éléments explicatifs, on ne pourra jamais, par principe logique, dépasser le stade de la simple corrélation entre les deux. Il ne sera jamais possible d'établir une relation de causalité explicative 166.

Nous pouvons alors donner l'argument suivant :

  1. On constate que l'homme dispose d'une intelligence et d'une conscience (c'est-à-dire une capacité d'introspection, une présence à soi).

  2. Or, une cause non intelligente et non consciente n'aurait pas pu produire un effet conscient et intelligent (principe de causalité proportionnelle).

  3. Par conséquent, il faut postuler l'existence d'une cause consciente et intelligente qui nous précède dans l'existence et qui est la source de ces facultés. On peut l'appeler « Dieu ».

Notes de bas de page

163 Voir J. P. Moreland, Consciousness and the Existence of God: A Theistic Argument, Routledge, 2008.
164 Ben Page, « Arguing to Theism from Consciousness », Faith and Philosophy: Journal of the Society of Christian Philosophers, vol. 37, n° 3, 2020, p. 336-362.
165 Voir les brillants travaux de David Chalmers, auteur de The Conscious Mind (1996) et son chapitre « Mind and Its Place in Nature », in Stephen P. Stich & Ted A. Warfield, Blackwell Guide to the Philosophy of Mind, Blackwell, 2003 (1995), p. 102-142.
166 Rien de ce que le neuroscientifique vous montrera ne fera apparaître un lien de nécessité logique entre les microstructures et l'existence d'une impression subjective. Une fois que le scientifique aura terminé sa description, vous pourrez toujours lui demander pourquoi ces réseaux neuronaux devraient être accompagnés de conscience. Il n'arrivera pas à vous répondre, puisque la science ne peut traiter que de la quantité, mais non de l'intériorité subjective. C'est un saut qualitatif qu'elle ne saurait franchir en principe.