Le problème de l'incroyance raisonnable

Thomas Durand reprend de manière succincte l'argument de John L. Schellenberg en faveur de l'athéisme :

« Si Dieu existait, parfaitement bon et aimant, il serait ouvert à une relation personnelle avec chaque humain, et par conséquent chaque personne raisonnable aurait été amenée à croire en Dieu ; pourtant, on peut trouver des non-croyants raisonnables ; donc Dieu n'existe pas » (p. 140).

Présenté ainsi, l'argument n'est même pas logiquement valide pour deux raisons. D'abord, la conclusion de l'argument n'est pas « donc Dieu n'existe pas », mais plutôt « il n'existe pas de Dieu pleinement bon et aimant ». Ensuite, l'affirmation « chaque personne raisonnable aurait été amenée à croire en Dieu » ne découle pas logiquement du fait qu'un Dieu bon et aimant se soit montré ouvert à une relation personnelle avec chaque humain. Pour que l'argument soit logiquement valide, il faudrait le reformuler ainsi :

1. Si Dieu existe et qu'il est pleinement bon, alors il devrait vouloir entrer en relation avec tous les êtres humains à un moment donné dans leur vie.

2. Si Dieu veut entrer en relation avec tous les êtres humains à un moment donné dans leur vie, alors chaque personne rationnelle devrait être amenée à croire en lui à un moment de sa vie.

3. Or, il existe des êtres humains rationnels qui ne sont pas amenés à croire en Dieu tout au long de leur vie.

4. Donc il n'existe pas de Dieu pleinement bon.

La faille de l'argument se cache dans la prémisse n° 2, qui oublie la dimension de la volonté. En effet, il ne suffit pas d'être « rationnel » pour vouloir entrer dans une relation avec Dieu. Il faut aussi vouloir l'aimer et remettre sa vie à lui. Oublier cela, c'est tout simplement s'aveugler sur l'extraordinaire résistance dont est capable la volonté humaine jusqu'au rejet de la rationalité. Beaucoup de personnes (même rationnelles) ne veulent tout simplement pas que Dieu existe, puisqu'elles l'assimilent à la figure d'un père autoritaire, voire d'un tyran. Le philosophe athée Thomas Nagel s'était d'ailleurs montré particulièrement honnête en admettant la chose suivante :

« Je parle d'expérience, étant moi-même sujet à cette peur : je souhaite que l'athéisme soit vrai, et je suis mal à l'aise de voir que quelques-unes des personnes les plus intelligentes et mieux informées que je connaisse croient en Dieu. Ce n'est pas seulement que je ne crois pas en Dieu, et que j'espère ne pas me tromper. C'est que j'espère qu'il n'y a pas de Dieu ! Je ne veux pas qu'il y ait un Dieu : je ne veux pas que l'Univers soit comme ça. Mon intuition est d'ailleurs que cette crainte est responsable d'une grande part du scientisme et du réductionnisme de notre temps 233. »

Par conséquent, il est faux d'affirmer que le fait que Dieu veuille entrer en relation avec chaque homme implique que toute personne rationnelle devrait être amenée à croire en lui. Pour que la prémisse soit correcte, il faudrait la reformuler ainsi : « Si Dieu veut entrer en relation avec tous les êtres humains à un moment donné dans leur vie, alors chaque personne rationnelle, bien renseignée et de bonne volonté, devrait être amenée à croire en Dieu à un moment donné dans sa vie. »

Pour que l'argument soit de nouveau logiquement valide, il faudrait alors réécrire la prémisse n° 3 de la manière suivante : « Or, il existe des êtres humains rationnels, bien renseignés et de bonne volonté, qui ne sont pas amenés à croire en Dieu tout au long de leur vie. »

C'est précisément cette prémisse reformulée que nous nions. À notre avis, compte tenu de la force des preuves de l'existence de Dieu et des nombreux miracles éclatants à notre disposition, il n'est pas possible d'être à la fois athée, rationnel, bien renseigné et de bonne foi tout au long de sa vie. Le trilemme suivant nous semble inévitable : une personne qui reste athée tout au long de sa vie est ou bien irrationnelle, ou bien mal informée, ou bien de mauvaise volonté. Il n'y a, à notre avis, pas d'alternative.

Notes de bas de page

233 Thomas Nagel, The Last Word, Oxford University Press, 1997, p. 130-131.