Pourquoi y a-t-il quelque chose plutôt que rien ?

Telle est la grande interrogation soulevée par le philosophe allemand Leibniz. C'est d'ailleurs la question sous-jacente à son argument cosmologique que nous venons d'analyser. La contingence radicale de l'existence couplée au principe de raison suffisante amène le philosophe à conclure qu'il existe forcément un être nécessaire qui transcende l'Univers contingent et qui est la source de son existence.

Thomas Durand tente une réponse sans réellement comprendre la question : alors qu'elle est d'ordre purement métaphysique, notre zététicien, en bon scientiste, suggère ni plus ni moins que la physique quantique serait à même d'y répondre ! Selon lui, celle-ci permettrait de montrer qu'il est possible que l'Univers puisse surgir spontanément à partir de rien :

« La physique quantique [...] montre que des particules apparaissent spontanément dans le vide quantique, pour disparaître aussitôt [...] : les données de la physique quantique ménagent une possibilité pour l'apparition spontanée de l'univers. Or, on dit souvent qu'en physique quantique tout ce qui n'est pas impossible se produit. La simple possibilité que l'univers puisse apparaître spontanément, même en admettant qu'elle soit infime, constitue donc une réponse quantique à la question de Leibniz » (p. 274-275).

Il est tout à fait faux de dire que la physique quantique implique que l'être puisse surgir du néant. La mécanique quantique se contente d'établir que certains phénomènes physiques ne sont pas anticipables de manière déterministe à partir de leurs causes, et non que ces phénomènes n'ont aucune cause. Il y a là une différence gigantesque ! Le fait qu'une particule soit capable de surgir du vide quantique ne prouve pas qu'il existe des cas où les choses peuvent apparaître sans cause, pour la bonne et simple raison que le vide quantique n'est pas le néant. Pour rappel, le néant est l'absence totale de lieu, de temps, de causalité et, plus généralement, l'absence d'être, et il y a une impossibilité métaphysique à ce que l'absence d'être produise de l'être. Au contraire, le vide quantique suppose une multitude de champs d'énergie dotés de propriétés particulières soumises à certaines lois (qu'on appelle les postulats de la mécanique quantique). Le vide quantique est juste un état particulier de ces champs. Il est donc parfaitement irrationnel de le renommer « néant » et de prétendre avoir répondu à la question de Leibniz 116.

De même, il est absurde de répondre à la question « pourquoi y a-t-il quelque chose plutôt que rien ? » en disant « parce que Rien est instable » (p. 275). En effet, le néant n'a pas de propriétés. Le non-être ne peut pas être « instable » puisque, avant d' être « instable », il lui faut déjà « être » (exister) tout simplement.

Thomas Durand poursuit :

« Les physiciens nous expliquent que la gravité a une énergie négative. Les modèles cosmologiques en vigueur montrent qu'à l'échelle de l'univers, l'énergie négative de la gravité compense précisément l'énergie positive contenue dans la matière (la fameuse formule E=mc2), ce qui fait que la somme totale de l'énergie dans l'univers est égale à zéro. Et cela ressemble tellement à rien que la question de Leibniz semble d'un seul coup moins pertinente.

"Pourquoi y-a-t-il quelque chose plutôt que rien ?

  • Parce que ça ne fait aucune différence."

Vouloir répondre à la question en invoquant Dieu n'est pas le bon moyen d'expliquer quoi que ce soit, car il resterait à expliquer l'existence de Dieu. Dieu n'est une cause sans cause que par la vertu de la définition que l'on veut en donner, or, comme on l'a vu, la définition que nous donnons aux concepts ne leur garantit pas une quelconque réalité dans la nature » (p. 275-276).

Même en admettant que l'énergie négative compense l'énergie positive dans l'Univers (ce qui reste à démontrer), cela ne résoudrait en aucun cas la question radicale de l'existence : pourquoi y-a-t-il un Univers avec de l'énergie (positive ou négative) plutôt que rien ? Pourquoi existe-t-il quelque chose ? En fait, posée de cette façon, cette question n'a pas beaucoup d'intérêt. Car, sauf à admettre que le néant puisse produire de l'être, dès lors que l'on constate qu'il y a de l'être, il faut qu'il y en ait toujours eu. La question est alors de savoir si l'Univers dont nous constatons l'existence se suffit à lui-même ou s'il a besoin d'une cause qui lui soit extérieure. Si l'Univers devait se suffire à lui-même, cela impliquerait qu'il n'ait pas de commencement (argument du kalam) et qu'il soit nécessaire, c'est-à-dire qu'il ait sa raison d'être en lui-même (argument de la contingence).

Dire qu'il « resterait à expliquer l'existence de Dieu » est un non-sens, puisque Dieu est l'être nécessaire dont nous avons besoin pour expliquer l'origine d'un Univers contingent. Il a donc en lui-même la raison de son existence. Il n'est pas métaphysiquement possible qu'il en soit autrement. C'est un peu comme si l'on disait « il reste encore à expliquer pourquoi 1 + 1 = 2 ». Cette équation ne demande aucune explication externe. Elle a en elle-même sa raison d'être, puisqu'il ne peut pas en être autrement. De même, l'être nécessaire ne peut pas avoir d'attributs qui demandent une explication externe.

Incompréhension du concept de « néant »

Thomas Durand démontre à nouveau qu'il n'a pas compris le concept de « néant » : « Nous sommes 13,7 milliards d'années après le Big Bang et l'univers, de jour en jour, se précipite vers une importante quantité de néant [...].

"Pourquoi y a-t-il quelque chose plutôt que rien ?

  • Parce qu'il suffit d'attendre : Rien arrive" (p. 274).

Cette phrase n'a absolument aucun sens puisque, encore une fois, le néant n'a pas de statut ontologique positif. Il s'agit de l'absence totale de lieu, de temps, de causalité et, plus généralement, l'absence d'être. Il est donc impossible que le néant « arrive », puisqu'il y aura toujours de l'être.

Vers la fin de son chapitre (p. 276), Thomas Durand démontre une fois de plus à quel point il n'a pas compris la question de Leibniz, lorsqu'il prétend ni plus ni moins que la question « Pourquoi y a-t-il quelque chose plutôt que rien ? » n'est pas plus pertinente que la question « Pourquoi les licornes ne pondent-elles pas d'enclumes ? ». C'est dire le niveau intellectuel !

À l'évidence, Thomas Durand ne comprend pas non plus ce qu'est le néant lorsqu'il écrit : « Nous ne disposons pas d'une définition claire du néant, nous ne sommes même pas certains que le néant tel que l'entend Leibniz dans sa question puisse avoir une réelle existence » (p. 276).

Il démontre encore qu'il n'a jamais ouvert un manuel de métaphysique. Car la définition du néant existe bel et bien 117 : c'est tout simplement l'absence totale de quoi que ce soit. Le non-être. Par conséquent, il est évident que le néant tel que l'entend Leibniz dans sa question ne peut pas exister. C'est précisément pour cela que Leibniz en déduit qu'il est nécessaire qu'il y ait quelque chose et donc que l'être nécessaire existe.

Tout cela a malheureusement échappé à Thomas Durand qui n'a même pas été capable de comprendre l'argument qu'il estime avoir réfuté en quatre pages. Pire, il ne résiste pas, une fois de plus, à la tentation de la psychanalyse pour disqualifier son adversaire : « S'en remettre à la seule métaphysique est une tentation bien compréhensible pour un croyant très attaché à sa croyance, mais c'est un mauvais calcul pour celui qui veut mettre ses convictions à l'épreuve de la réalité » (p. 53).

Pense-t-il sérieusement que saint Thomas d'Aquin, Duns Scot, saint Bonaventure ou encore Leibniz refusaient de « mettre [leurs] convictions à l'épreuve de la réalité » ? Ceci est une attaque ad hominem pure et simple, qui n'a aucune valeur intellectuelle. Il est bien triste de se contenter de psychanalyser le croyant au lieu de lui répondre sur le fond. Comme nous l'avons vu, les arguments cosmologiques sont beaucoup plus sophistiqués que Thomas Durand ne le prétend.

Erreur de logique formelle 118

Comme si cela n'était pas assez, Thomas Durand termine son chapitre par un énorme sophisme :

« En bref, si l'hypothèse Dieu est compatible avec un univers fini comme avec un univers infini, alors la finitude de l'univers n'est pas le bon critère pour statuer sur son existence » (p. 80).

Cette allégation est purement et simplement fausse. Il s'agit d'une erreur élémentaire de logique formelle. Le fait que l'existence de Dieu soit compatible avec l'existence d'un Univers infini dans le passé n'implique en aucune façon que le commencement de l'Univers ne soit pas un bon moyen de montrer son existence. En clair, même s'il n'y a pas besoin de démontrer que l'Univers a commencé d'exister pour prouver l'existence de Dieu, il n'en demeure pas moins que si nous pouvons démontrer le commencement de l'Univers, alors nous avons une preuve supplémentaire de l'existence de Dieu à ajouter à notre arsenal !

L'affirmation de Thomas Durand est donc fausse. Elle équivaut à dire : « L'existence des nuages est compatible avec une météo sans pluie, donc l'existence de la pluie n'est pas un bon critère pour statuer sur l'existence de nuages. » Cela est manifestement faux. Il est vrai qu'on peut avoir un temps nuageux sans avoir de pluie. En revanche, on ne saurait en tirer la conclusion que l'existence de la pluie n'est pas un bon critère pour déduire l'existence des nuages ! De même, bien qu'on puisse montrer l'existence de Dieu sans faire appel au commencement de l'Univers, il ne s'ensuit pas pour autant que le commencement de l'Univers ne soit pas un bon critère pour statuer sur l'existence de Dieu.

Ce manque patent de rigueur intellectuelle de la part de Thomas Durand, qui ignore jusqu'à la logique formelle de base, jette une ombre, pour le moins, sur le sérieux et la crédibilité de tout son ouvrage...

Notes de bas de page

116 On notera au passage que Stephen Hawking commet la même confusion conceptuelle sur la notion de « néant » lorsqu'il écrit : « Parce qu'une loi comme la gravitation existe, l'Univers peut se créer et se recréera spontanément à partir de rien » (Stephen Hawking, The Grand Design, New York, Bantam Books, 2010, p. 219).
117 Sur l'analyse du concept de « néant », on pourra se reporter aux travaux d'Henri Bergson dans L'évolution créatrice (1907).
118 La logique formelle est l'étude purement abstraite de l'inférence et de la validité des raisonnements logiques.