La preuve téléologique : le « réglage fin de l'Univers »

Après avoir lamentablement échoué à réfuter les arguments cosmologiques, Thomas Durand compte désormais s'attaquer à l'argument du « réglage fin 119 ». Nous allons voir si ses critiques tiennent la route. Avant toute chose, il convient de rappeler rapidement en quoi consiste cet argument.

Depuis la seconde moitié du XXe siècle, les astrophysiciens ont découvert des choses étonnantes sur l'origine de notre Univers, et en particulier un phénomène aujourd'hui admis par l'ensemble de la communauté scientifique : le réglage fin des constantes qui régissent notre cosmos, permettant l'apparition de la vie sur Terre. Mais que faut-il entendre par « réglage fin » ou « ajustement très précis des constantes physiques » ? Il s'agit tout simplement de l'observation que certaines constantes fondamentales de l'Univers doivent avoir une valeur extraordinairement précise et finement réglée, pour que l'Univers puisse exister durablement et a fortiori pour accueillir la vie. Certains pourraient nous rétorquer que, si les constantes avaient été réglées différemment, alors il y aurait peut-être eu d'autres formes de vie. Mais ce serait mal comprendre ce que les scientifiques entendent par le terme de « vie ». En effet, ces derniers ne considèrent pas uniquement l'existence de la vie telle qu'elle est dans notre Univers, mais bien de l'existence de la vie en général ; c'est-à-dire la capacité qu'a un organisme à prendre de la nourriture pour en extraire de l'énergie, grandir dans un environnement adapté et se reproduire. Même si d'autres types de molécules que le carbone étaient susceptibles de rendre la vie possible, sans le réglage fin, celle-ci resterait impossible (peu importe le type de molécule). En l'absence d'un réglage fin de ces fameuses constantes, aucune forme de vie n'aurait pu surgir dans l'Univers.

Prenons un exemple : les calculs et observations des astrophysiciens montrent que la « constante cosmologique », « Λ », initialement introduite par Einstein dans la relativité générale pour permettre l'existence d'un Univers stable et stationnaire, semble avoir une valeur non nulle, mais incroyablement petite. Elle doit être réglée avec une précision de 1/10121 pour que l'Univers puisse exister et accueillir la vie. Exprimée à l'aide de la longueur de Planck, cette constante cosmologique s'écrit avec 121 zéros avant le premier chiffre non nul ! De son côté, la constante physique de la « force faible » est réglée avec un tel degré de précision qu'une modification aussi légère que 1/10100 aurait radicalement empêché l'apparition de la vie 120. En comparaison, le nombre de secondes qui se sont écoulées depuis le début de l'Univers est seulement de l'ordre de 1017 et le nombre d'atomes dans l'Univers est seulement de l'ordre de 1080. L'écart de ces deux constantes par rapport à zéro est donc bien inférieur à la probabilité de choisir un atome particulier au hasard dans tout l'Univers.

Vous comprenez alors à quel point la précision de ces réglages est quasiment inconcevable pour l'esprit humain ! Si la constante avait été un peu plus petite ou un peu plus grande, l'Univers se serait dispersé trop vite pour permettre aux étoiles de s'allumer, ou il se serait replié trop vite sur lui-même sans que les atomes lourds (comme le fer ou le carbone) puissent se former.

L'astrophysicien Trinh Xuan Thuan avait proposé l'analogie suivante pour bien nous faire comprendre ce que de tels résultats signifiaient 121. Il avait calculé que la probabilité d'atteindre une cible d'un centimètre carré située à l'autre bout de l'Univers en tirant à l'aveugle une seule flèche depuis la Terre, sans savoir dans quelle direction se trouve la cible, était d'une précision de 1/1060. Évidemment, tout cela est immensément improbable ! Alors imaginez un peu ce que représenterait un réglage fin de l'ordre de 1/10121. La probabilité devient alors totalement hors du pensable ! De tels réglages sont d'une finesse absolument inimaginable pour l'esprit humain.

Robert Laughlin, professeur de physique (athée) à Stanford et Prix Nobel 1998, affirme à ce sujet : « Le fait que la constante cosmologique soit si petite nous indique que la gravitation et la matière relativiste emplissant l'Univers sont fondamentalement reliées d'une façon mystérieuse que nous ne comprenons pas, puisque l'alternative requiert un miracle époustouflant 122. » De son côté, Leonard Susskind, un scientifique non religieux, constate dans un article qu'il s'agit d'« implications troublantes » et d'« événements statistiquement miraculeux 123 ».

Et ce n'est pas tout. Une telle analyse peut être faite pour beaucoup d'autres constantes qui régissent notre cosmos dont, par exemple, la constante de densité de l'Univers, la charge du proton et de l'électron, la masse de l'électron, du neutron et du proton, la force nucléaire, la force électromagnétique, la vitesse de la lumière, etc. Pour chacune de ces constantes, si l'une d'elles avait été modifiée de façon infinitésimale, la vie aurait été impossible.

Mais qu'est-ce qui explique ce réglage fin ? Il n'y a en réalité que trois options : la nécessité physique, le hasard ou l'intelligence. Nous pouvons éliminer d'emblée l'idée de nécessité physique. En effet, les constantes qui régissent le cosmos sont contingentes dans la mesure où l'on peut très bien concevoir qu'elles aient été différentes. Par exemple, il n'y a aucune nécessité physique à ce que la constante de Planck vaille 6,626 070 16 × 10−34 plutôt que 6,626 070 15 × 10−34, et ce fait semble confirmé par les scientifiques qui arrivent parfaitement à simuler informatiquement des univers légèrement différents sans que leur code ne produise d'erreur.

Le réglage fin de ces constantes ne dépend d'aucune loi physique puisque les constantes ont été réglées en amont de ces lois. De plus, si le réglage fin était métaphysiquement nécessaire, cela signifierait que l'idée même qu'un univers ne puisse pas accueillir la vie serait impossible. Or, justement, il aurait été tout à fait possible et concevable que l'Univers n'eût pas été adapté à recevoir la vie. Pour soutenir l'idée de nécessité physique, le sceptique devrait nous prouver qu'il est impossible qu'un univers ne permettant pas l'émergence de la vie existe. Or, comment pourrait-il réaliser une telle chose ? La charge de la preuve est telle que l'idée de nécessité physique n'est soutenue par personne au niveau académique. Il n'y a, en effet, rien de contradictoire à concevoir un univers à partir duquel aucune vie ne peut émerger.

Mais alors, que dire de l'hypothèse du hasard ? Un réglage des constantes aussi fin et ajusté obtenu par le plus pur des hasards est-il crédible ? Nous ne le pensons pas. En effet, la probabilité d'avoir ces constantes finement réglées en conjonction les unes avec les autres est estimée à moins d'une chance sur 10300, une valeur qui ne cesse de baisser au fur et à mesure que l'on découvre de nouvelles constantes !

Considérons les mots sur cette page, par exemple. Une explication possible de leur existence est le hasard. Les lettres ont été tapées aléatoirement et se retrouvent arrangées de sorte que des mots compréhensibles se sont formés. Ainsi, le fait que vous lisiez des phrases ayant un sens est le pur fruit du hasard. Cette hypothèse n'est pas logiquement impossible, mais elle est tellement improbable que personne ne la prendrait au sérieux. Face à de telles improbabilités, l'hypothèse rationnelle est de dire qu'il y a un esprit intelligent qui a pensé ces mots et qui les a écrits. De même, si la probabilité d'obtenir un univers susceptible de produire de la vie est immensément plus petite que la probabilité d'atteindre une cible d'un centimètre carré située à l'autre bout de l'Univers, vous ne vous dites pas : « Oh, c'est juste un gros coup de chance ! » Un tel tir devrait être parfaitement réglé et calculé pour que la flèche puisse atteindre sa cible. Il semble donc que la meilleure hypothèse explicative soit celle de l'intelligence créatrice.

D'ailleurs, d'un point de vue purement théorique, le mathématicien Émile Borel (1871-1956), connu pour ses travaux sur la théorie des probabilités, affirmait que « les événements dont la probabilité est suffisamment faible ne se produisent jamais 124 », formule constituant ce qu'il appelle la « loi unique du hasard ». Cette loi, selon Émile Borel, n'appartient pas à la théorie mathématique elle-même ; elle concerne son application, donc son interprétation. À l'échelle humaine, c'est-à-dire au niveau individuel, une probabilité pourra être considérée comme négligeable si elle est inférieure à 10-6. À l'échelle terrestre, c'est-à-dire pour l'humanité entière, cette limite pourra être abaissée à 10-15, dans l'hypothèse où l'on estime cette population, comme le fait Borel, à environ un milliard d'individus, soit 109. Enfin, elle sera, dit-il, de 10-50 à l'échelle cosmique. Or, s'agissant des réglages fins de l'univers, les probabilités sont beaucoup plus faibles. L'hypothèse du pur hasard est donc inenvisageable.

Nous synthétiserons notre argument de la manière suivante :

  1. Ce qui n'est ni l'effet du hasard ni de la nécessité est l'effet de l'intelligence.

  2. Or, les constantes cosmologiques qui régissent notre Univers sont réglées de manière extrêmement précise pour que celui-ci puisse accueillir la vie (résultats établis par l'astrophysique contemporaine).

  3. Ces constantes cosmologiques ne sont pas nécessaires (leur contingence est manifeste, car on peut très bien imaginer qu'elles aient été légèrement différentes).

  4. Il est très improbable qu'elles soient le fruit du hasard (de l'ordre de 1/10300).

  5. Donc il est très probable qu'elles soient le fruit d'une intelligence (par les n° 1 à 4).

Voyons à présent comment Thomas Durand compte s'attaquer à l'argument suivant : « L'univers, tel qu'il se présente, est trop parfait pour être dû au hasard, nous dit-on » (p. 81). Attaque de l'homme de paille. Aucun philosophe n'a jamais soutenu que l'Univers était parfait 125. Encore une fois, Thomas Durand prête à ses adversaires des propos qu'ils n'ont jamais tenus.

« En fait, le naturalisme et la loi des grands nombres ne concluent pas que le hasard commande notre existence, mais plutôt que l'immensité de l'univers rend notre existence probable quelque part, et pourquoi pas justement là où nous sommes, puisque notre emplacement dans l'univers n'a rien de particulier » (p. 82).

Thomas Durand a une compréhension défectueuse de l'argument. Il est faux de dire que « l'immensité de l'Univers rend notre existence probable quelque part ». Notre existence est improbable indépendamment du fait que l'Univers soit immense ou non. En effet, les données scientifiques montrent que si les constantes fondamentales avaient été un tout petit peu plus petites ou un tout petit peu plus grandes, l'Univers (grand ou petit) se serait dispersé trop vite pour permettre aux étoiles de s'allumer, ou se serait replié trop vite sur lui-même sans que les atomes lourds (comme le fer ou le carbone) puissent se former. Il n'y aurait eu alors aucune forme de vie, et la taille de l'Univers n'aurait aucun impact là-dessus. L'éminent cosmologiste et physicien Alexander Vilenkin avait d'ailleurs déclaré : « Une toute petite variation aurait été synonyme de cataclysme cosmique, comme si une boule de feu avait éclaté sous son propre poids 126. » L'immensité de l'Univers ne rend donc pas « notre existence probable quelque part », contrairement à ce qu'affirme Thomas Durand.

Le zététicien poursuit avec un immense sophisme : « La planète est parfaitement adaptée à l'existence du scorpion, ce qui ne nous incite pas à conclure que la planète existe à cause du scorpion ou pour le scorpion » (p. 82-83).

Cette affirmation repose encore sur une incompréhension. L'argument du réglage fin ne dit pas que l'Univers a été conçu « pour » l'homme. Il soutient simplement que les conditions qui rendent l'existence de la vie en général (quelle qu'en soit la forme) sont immensément improbables (de l'ordre de 1/10300) et donc que l'hypothèse de l'intelligence créatrice est la meilleure de toutes. Le fait que notre planète soit parfaitement adaptée à l'existence du scorpion ou de l'homme demande tout de même une hypothèse explicative adéquate. Mais Thomas Durand n'en donne aucune. Il ne cesse de psychanalyser le théiste : « Il semble que l'humain cherche dans cet argument une valeur particulière pour lui-même, du baume sur son angoisse existentielle, un narratif qui lui donne le beau rôle » (p. 83).

Cette psychanalyse ne réfute en rien l'argument. Elle est totalement hors sujet. Même s'il était vrai que le théiste cherche dans cet argument un « baume [à] son angoisse existentielle », il ne s'ensuivrait en aucune façon qu'il soit faux.

L'analogie de la flaque d'eau

Thomas Durand cherche ensuite à parodier l'argument précédent, en prenant l'analogie de la flaque d'eau :

« Une flaque d'eau se réveille un matin en s'émerveillant que le trou dans lequel elle se trouve épouse parfaitement ses formes, elle en conclut qu'il était de toute évidence prévu pour l'accueillir » (p. 83-84).

Cette analogie est défectueuse, puisque la flaque d'eau peut « vivre » dans n'importe quel endroit, étant donné que c'est elle qui s'adapte aux conditions de son environnement. Nous aurons beau la changer de trou, elle s'ajustera parfaitement à ce nouvel endroit, car il n'existe pas d'environnement physique (dans une température entre 0 et 100 °C) qui ne permette pas l'existence de la flaque d'eau. C'est tout le contraire en ce qui concerne la vie biologique dans notre Univers ! Bien loin de pouvoir s'adapter à n'importe quel environnement, l'homme périrait quasi instantanément si l'on en changeait les conditions initiales. La vie ne pourrait pas se développer sous une autre forme : car si l'on modifiait ne serait-ce qu'une seule petite décimale à la vitesse d'expansion de l'Univers, celui-ci s'effondrerait sur lui-même. On comprend alors pourquoi l'analogie de la flaque d'eau est parfaitement inadéquate dans ce contexte : contrairement à l'homme, la flaque d'eau est, par nature, adaptée à son environnement.

Le principe anthropique faible

Thomas Durand persiste avec une autre objection portant sur le principe anthropique faible : « Aucun d'entre nous ne vit dans un univers qui n'autorise pas son existence » (p. 84) ; « Si l'atmosphère avait disparu, nous ne serions pas là pour en parler et, de fait, nous ne sommes pas nés sur Mars qui a perdu l'essentiel de son atmosphère » (p. 87) ; « Dans l'incroyable immensité de l'univers, si la vie n'a germé que sur une seule et unique planète, celui qui s'en étonne vit forcément dessus » (p. 88).

Selon ce principe, la raison qui fait que notre Univers est adapté à notre existence est simple : celui-ci devait forcément exister pour que nous puissions considérer la question. Autrement dit, si l'Univers n'était pas adapté à la vie, nous n'aurions pas pu le découvrir, puisqu'il est impossible de découvrir un Univers qui n'est pas adapté à sa propre existence ! Derrière cette objection se cachent quelque chose de juste et quelque chose de faux. Il est parfaitement juste de dire que, si l'Univers n'était pas finement réglé pour notre existence, nous ne serions pas là pour le constater. En revanche (et c'est là que l'objection fait fausse route), le fait que nous puissions observer que l'Univers est adapté à la vie n'élimine en rien le besoin d'explication. Comme le souligne Frédéric Guillaud, ce serait un parfait sophisme de passer de la proposition « il n'y a rien de surprenant pour un observateur à ne pas observer des conditions physiques compatibles avec son existence » à la proposition « l'existence des conditions physiques compatibles avec l'existence de l'observateur n'a rien d'étonnant et ne mérite aucune explication particulière 127 ».

Pour illustrer cela de manière simple, le philosophe John Leslie avait proposé l'analogie suivante 128 : un peloton d'exécution s'apprête à vous fusiller. Dos au mur, les yeux bandés, vous entendez le général crier « En joue... Feu ! », puis les tirs. Mais à votre grande surprise, vous ne mourez pas. Aucune balle ne vous a touché. Qu'allez-vous conclure ? L'hypothèse rationnelle serait de dire qu'il y a eu un complot : tous les soldats ont fait exprès de rater leur tir ou ont tiré à blanc. Maintenant, imaginez que l'on vous dise : « Nul besoin d'imaginer un complot. Cela n'a rien d'étonnant. Il est normal que tu constates que les tireurs aient raté leur coup, car la probabilité que tu constates qu'ils l'ont réussi est égale à zéro. Le fait que chaque soldat ait raté son tir est très improbable certes, mais s'ils avaient réussi leur tir, tu n'aurais de toute façon pas été là pour le constater. Le fait que tu aies survécu n'est donc pas si étonnant. »

Vous comprenez alors l'immense sophisme qui est en jeu ici. Le fait que vous ayez survécu n'explique pas pourquoi vous avez survécu. Il est vrai que, si les conditions n'avaient pas été finement réglées pour votre survie, vous n'auriez pas survécu ; néanmoins, cela n'explique en rien pourquoi vous ayez survécu. Ainsi, le fait que vous soyez en vie pour constater le réglage fin de l'Univers n'explique pas le fait que l'Univers soit adapté à la vie.

Expliquer les lois physiques par les lois physiques ?

« Pour l'apologétique, il n'est pas raisonnable d'expliquer les lois de la physique à l'aide des lois de la physique, sous le prétexte — arbitraire, jamais justifié — que ce qu'on devrait chercher, c'est une intention externe à l'univers » (p. 96-97).

Évidemment qu'il n'est pas raisonnable d'expliquer les lois de la physique par les lois de la physique ! En effet, cela reviendrait tout bonnement à vouloir s'expliquer soi-même, circulairement, ou à décaler sans cesse l'explication ! Si les lois de la physique ont une explication ultime, cette explication ne peut pas se trouver dans d'autres lois physiques, puisque ceci ne fait que repousser le problème. La loi de la gravitation et le principe de conservation de l'énergie ne peuvent pas être expliqués par d'autres lois physiques, et ainsi de suite ad infinitum. Il faut donc nécessairement postuler une explication externe qui vienne rendre compte de l'origine ultime de ces lois et du réglage fin des constantes fondamentales.

Qui a réglé les constantes ?

Thomas Durand s'offusque du fait que certains théistes posent la question « qui a donc réglé les constantes de l'univers pour permettre l'apparition de l'Homme ? » (p. 84). Selon lui, cette interrogation suggère implicitement une forme d'intentionnalité ou présuppose une volonté créatrice. Mais l'objection n'est pas solide, car il suffirait simplement de reformuler la question avec des termes plus neutres : comment se fait-il que toutes ces constantes correspondent parfaitement aux valeurs qu'il faut pour permettre l'existence d'un Univers stable et l'apparition de la vie ? La question est ainsi posée de manière neutre, mais le besoin d'une explication demeure. Et Thomas Durand n'y répond pas, ou du moins pas directement.

Il a raison de faire la distinction entre les lois prescriptives et descriptives (p. 85). En revanche, il a tort de dire que les lois descriptives ne requièrent aucune explication externe. La question « pourquoi existe-t-il des lois descriptives dans l'Univers ? » reste tout de même pertinente, car ces lois sont contingentes. Le principe de raison suffisante exige donc qu'elles aient une explication. Au lieu de répondre à ces questions fondamentales, Thomas Durand préfère poursuivre par une énième attaque de l'homme de paille : « Le monde est trop beau pour qu'une telle beauté ne se soit produite par hasard. "Les nez sont faits pour porter des lunettes ; aussi portons-nous des lunettes", se moquait Voltaire avec son personnage de Pangloss dans Candide. L'hypothèse du réglage fin de l'univers n'est rien d'autre qu'une rhétorique panglossienne pour expliquer le monde. [...] C'est, bien sûr, la vie qui s'est adaptée à l'univers dans lequel elle est apparue et non l'inverse » (p. 87).

Voilà une preuve supplémentaire que Thomas Durand n'a rien compris au fondement scientifique du réglage fin. Les nez ne sont pas « faits pour porter des lunettes ». Ce sont les lunettes qui sont faites pour s'adapter à la forme du nez ! Or, nous n'avons rien « fait » pour nous adapter aux conditions initiales de l'Univers. C'est le contraire qui est vrai : le réglage hautement improbable des constantes de l'Univers a permis la formation des atomes légers, puis des atomes lourds, des molécules, des molécules géantes que sont les molécules d'ADN, puis, finalement, l'apparition du vivant et notre existence.

L'argument de l'ordre mal représenté

Après s'être attaqué à l'argument du réglage fin, Thomas Durand s'en prend à présent à l'argument de l'ordre : « L'apologète parle de "l'ordre de l'univers". Nous sommes appelés à nous étonner de l'existence de l'ordre de l'univers, de sorte que nous soyons désireux de lui trouver une cause. L'erreur vient de ce que le concept d'ordre est subjectif. Nous observons le ciel, nous constatons des relations entre les objets qui le composent et nous appelons cet agencement ordonné "univers". Dès lors, dire que l'univers est ordonné signifie qu'il est agencé tel que nous le percevons, tel que nous le conceptualisons » (p. 88-89).

Mais le zététicien pose très mal le problème de l'ordre. Prenons un exemple pour illustrer notre propos. Si l'on découpe toutes les lettres des Misérables de Victor Hugo, qu'on les met dans une boîte et qu'on les jette en l'air, elles formeront toujours un ordre en retombant. Mais il y a très peu de chances pour que cet ordre nous raconte l'histoire des Misérables, ou même une autre ; il y a très peu de chances pour que cet ordre soit porteur d'une information. Or, ce que les sciences de l'Univers et de la nature nous révèlent depuis le début du siècle dernier, c'est que tout, dans l'Univers et dans la nature, est information 129. Le problème n'est donc pas celui de l'ordre, mais bien celui de l'origine de l'information !

De plus, Thomas Durand fait fausse route en soutenant que l'ordre est quelque chose de subjectif. Bien au contraire, cette notion d'ordre est objective. On peut distinguer de manière parfaitement objective un monde chaotique, dénué d'information, avec des tas de matière qui vont dans tous les sens, et un monde informé, structuré, où tout fonctionne en harmonie (le système solaire par exemple).

Le zététicien résume alors la preuve théiste fondée sur l'ordre, en l'accusant de commettre un sophisme formel (l'affirmation du conséquent) :

« 1. Si Dieu existe, alors il y a de l'ordre dans l'univers.
2. Il y a de l'ordre dans l'univers.
3. Donc Dieu existe » (p. 89).

Thomas Durand nous prend-il pour des débiles ? Quel théiste a déjà défendu un argument aussi mauvais ? Où a-t-il lu cela chez les philosophes théistes ? Nulle part, tout simplement parce que, le lecteur l'aura compris, Thomas Durand ne lit pas les philosophes théistes. Serait-ce trop lui en demander ? Mais lorsqu'on prétend écrire un livre qui réfute les preuves de l'existence de Dieu, le minimum requis est de se renseigner sur les vrais arguments du camp adverse, pas des versions nullissimes trouvées sur YouTube (qui ne sont même pas logiquement valides). Ce niveau de malhonnêteté intellectuelle ou d'ignorance est absolument sidérant pour quelqu'un qui prétend rétablir l'esprit critique.

Une formulation de l'argument de l'ordre (si l'on voulait en donner une) serait :

  1. Nous constatons qu'il existe un monde très ordonné avec des constantes précises qui régissent des lois physiques.

  2. Or, si l'athéisme est vrai, il semble improbable d'observer un tel ordre dans l'Univers (on s'attendrait davantage à observer un Univers chaotique).

  3. Donc l'existence d'un ordre dans l'Univers est plus probable si Dieu existe que s'il n'existe pas.

L'argument du « dessein intelligent » et l'apparition de la vie

L'apparition de la vie reste encore aujourd'hui un défi que le darwinisme ne peut expliquer. La théorie de l'évolution donne en effet un cadre explicatif limité pour l'évolution de la vie une fois qu'elle est apparue, mais elle est impuissante à expliquer l'apparition de la vie elle-même. En laboratoire, nous savons reproduire la vie à partir de matériaux vivants, mais la produire en conditions abiotiques (c'est-à-dire sans avoir du vivant comme point de départ) est totalement en dehors de nos capacités scientifiques.

Bien que la microévolution, à savoir les petites variations à l'intérieur d'une même espèce, soit explicable par une sélection naturelle, la macroévolution, à savoir les changements majeurs conduisant à la différenciation entre espèces et à l'apparition de la vie elle-même, elle, reste inexpliquée, car elle présente des étapes radicales à franchir. Dans leur livre The Anthropic Cosmological Principle, les biologistes Barrow et Tipler dressent la liste des dix étapes nécessaires à l'apparition de la vie humaine : l'apparition de l'ADN, la respiration aérobie, la formation de l'acide pyruvique par fermentation du glucose, la photosynthèse autotrophe, l'apparition des mitochondries, la formation du complexe centriole/kinétosome/undulipodia, l'apparition d'un précurseur de l'œil, le développement d'un endosquelette, l'apparition du phylum des chordés, l'évolution de l'homo sapiens dans la lignée des chordés.

Le temps de l'évolution n'étant pas infini, Barrow et Tipler ont calculé que chacune de ces étapes avait une probabilité si faible d'arriver que le soleil se serait déjà éteint avant que l'une d'entre elles puisse se produire par hasard. Ainsi, la probabilité que ces dix étapes se soient produites par hasard, de manière consécutive, dans un temps aussi limité, est infinitésimale. L'hypothèse d'une intelligence créatrice ayant guidé l'évolution semble donc la meilleure pour expliquer les données.

Le darwinisme échoue également à expliquer l'apparition de la première cellule de vie. Comment sommes-nous passés de la matière inerte, comme la roche, à la première cellule de vie, capable de se nourrir, de se développer, de se réparer et de se reproduire avec un mécanisme déjà nécessairement très complexe ? Au XIXe siècle, Darwin et d'autres disaient que les molécules s'étaient agitées dans un petit étang chaud qui avait fini par produire de la vie par génération spontanée. Il faut dire qu'à l'époque de Darwin, la science ignorait que le vivant était extrêmement complexe. Prenons l'exemple d'un des organismes les plus simples et primitifs comme le protozoaire. Pour qu'une telle cellule apparaisse, il faut que les atomes se soient arrangés pour former quatre molécules très particulières (adénine, guanine, cytosine, thymine). Ces quatre bases permettent alors de composer les vingt-et-un acides aminés, pour ensuite construire le langage de l'ADN, celui des protéines, ainsi que la table de correspondance qui permet à l'un de communiquer avec l'autre. Et ce n'est pas tout ! Il ne suffit pas que cette prouesse soit réussie, il faut également que l'ADN de la cellule soit prédisposée à une extrême complexité, car elle doit pouvoir prévoir la capacité de la croissance de la cellule, mais aussi une capacité de reproduction, une capacité d'intervention avec l'environnement et une aptitude à durer dans le temps, à se nourrir, etc. Philippe Labrot, chercheur au Centre de biophysique moléculaire d'Orléans du CNRS, commente cette prouesse : « Pour certains chercheurs, le fait que la cellule vivante soit d'une complexité effrayante prouve qu'elle n'a vraisemblablement pas pu apparaître par étapes, mais qu'elle est au contraire sortie du néant entièrement constituée. Les probabilités qu'un tel événement ait pu se produire sont similaires aux chances qu'aurait une tornade soufflant sur une décharge d'assembler, à partir d'un tas de ferraille, un Airbus A320 en parfait état de marche 130. »

De plus, il semble encore plus difficile d'expliquer ontologiquement que la matière inerte, simple et non intelligente puisse produire par elle-même de la complexité et de l'intelligence. Cela contredirait le principe de causalité proportionnelle selon lequel la cause doit avoir la capacité interne de produire son effet 131. Il semble donc que l'hypothèse théiste soit préférable pour expliquer ce « saut ontologique » radical du passage de l'inerte au vivant.

Aussi incroyable que cela puisse paraître, Thomas Durand affirme qu'au contraire, l'argument du dessein intelligent plaide en réalité contre l'existence de Dieu ! « "Même l'humain le plus intelligent ne peut créer un grain de sable à partir de rien, donc il faut un créateur" est un argument très intéressant, parce que si nous le prenons au sérieux, il plaide contre l'existence de Dieu. En effet, si même le plus brillant humain ne peut pas concevoir un grain de sable, alors nous disposons de zéro occurrence où un concepteur intelligent réalise cette prouesse. Nous en inférons que, sans doute, c'est impossible » (p. 95).

Pense-t-il sérieusement pouvoir inférer l'inexistence de Dieu du fait qu'aucun être humain ne soit capable de créer un grain de sable ex nihilo ? Soyons sérieux. Si nous ne pouvons pas créer un grain de sable ex nihilo, c'est tout simplement parce que nous ne sommes pas tout-puissants. La distance qui sépare le néant et l'être est infinie. Il est donc parfaitement logique que des créatures finies, comme nous, soient incapables de réaliser une telle chose. C'est tout simplement au-delà de nos pouvoirs. Mais à supposer qu'il existe un créateur tout-puissant de l'Univers, on ne voit pas en quoi la création ex nihilo lui serait impossible. L'inférence de Thomas Durand n'a donc pas lieu d'être.

Notes de bas de page

119 Thomas Durand rejette l'emploi du terme « réglage », qui indique d'emblée l'existence d'une intention. Or, il semble que, si l'on conteste l'emploi d'un mot particulier pour décrire une réalité, la moindre des choses serait de proposer un autre mot plus approprié. Mais Thomas Durand n'en propose aucun...
120 John Barrow et Frank Tipler, The Anthropic Cosmological Principle, Oxford, 1986.
121 Trinh Xuan Thuan, Le chaos et l'harmonie, Fayard, 1988.
122 Robert Laughlin, A Different Universe, Basic Books, 2005, p. 123.
123 Leonard Susskind, « Disturbing Implications of a Cosmological Constant », Journal of High Energy Physics, nov. 2022.
124 Émile Borel, Valeur pratique et philosophie des probabilités (fascicule III du tome IV du Traité du calcul des probabilités), Paris, Gauthier-Villars, 1939. Voir https://images.math.cnrs.fr/Les-probabilites-negligeables-selon-Emile-Borel.html#BOR43b.
125 Même Leibniz, qui pensait que l'on vivait dans le « meilleur des mondes possibles », n'a jamais prétendu que notre monde était parfait.
126 Alexander Vilenkin, Many Worlds in One: The Search for Other Universes, New York: Hill and Wang, 2006, p. 10.
127 Frédéric Guillaud, Dieu existe : arguments philosophiques, Cerf, 2013, p. 319-320.
128 John Leslie, Universes, Londres, Routledge, 1989.
129 C'est précisément ce qu'affirme l'astrophysicien Jean-Pierre Luminet : « Tous les systèmes physiques fonctionnent d'une certaine manière comme des ordinateurs. Les pierres, les bombes atomiques et les galaxies ne tournent certes pas sous Linux ou Windows, mais elles enregistrent et traitent de l'information de la même façon qu'une puce d'ordinateur » (Le destin de l'Univers, Fayard, 2010).
130 Philippe Labrot, « Chimie prébiotique » : http://www.nirgal.net/ori_life2.html.
131 Au sujet du principe de causalité proportionnelle, on pourra lire Edward Feser, Five Proofs of the Existence of God, Ignatius Press, San Francisco, p. 170-176.