Qu'est-ce que l'athéisme ?
Au chapitre 22 intitulé « Qu'est-ce que l'athéisme ? », Thomas Durand affirme : « C'est aux apologètes que l'on doit la classification qui intercale les agnostiques entre les croyants et les athées, peut-être pour éviter de s'interroger sur la distinction pourtant capitale qui existe entre l'opinion que l'on se fait d'un sujet comme l'existence de Dieu, d'un côté, et de l'autre le degré de certitude ou de preuve à l'appui de cette opinion » (p. 225).
Or, cette assertion est fausse. Ce ne sont pas les « apologètes » qui ont créé cette classification (théiste, athée, agnostique). Les philosophes athées et agnostiques (dont Thomas Huxley) y ont contribué aussi. Cette classification a l'avantage de permettre de répondre directement à la question « Dieu existe-t-il ? ».
L'athéisme n'est pas une absence de croyance
Thomas Durand tente de rejeter la définition traditionnelle de l'athéisme et de le redéfinir à sa manière, en suivant la ligne du « Nouvel athéisme » américain. Alors que les philosophes (croyants ou non) ont toujours défini le théisme par la proposition « Dieu existe » et l'athéisme par sa négation (c'est-à-dire la proposition « Dieu n'existe pas »), Thomas Durand, lui, pense pouvoir redéfinir l'athéisme comme étant une absence de croyance en Dieu 38 (p. 24).
Or l'idée que l'athéisme serait une « absence de croyance en Dieu » est parfaitement absurde. Si cette définition était vraie, alors on devrait dire que les plantes, les cailloux, les atomes (etc.) sont tous athées, puisqu'ils ont tous une absence de croyance en Dieu. On aurait alors plus de 1080 athées dans l'Univers ! Tout cela n'a aucun sens évidemment.
Ici, Thomas Durand répondrait sûrement que sa définition de l'athéisme ne s'applique qu'aux personnes, et non aux objets inanimés. Cependant, les problèmes demeurent. En effet, on devrait alors en conclure que les bébés, les handicapés mentaux ou les personnes dans le coma sont athées, parce qu'ils ont une absence de croyance en Dieu, étant donné leur état mental. On aurait alors des scénarios absurdes où un grave accident de voiture pourrait transformer un théiste en athée en lui faisant perdre sa mémoire (et donc son adhésion à la proposition « Dieu existe »).
Supposons à présent que Thomas Durand veuille modifier sa définition de l'athéisme ainsi, pour éviter ces objections : « P est un athée si et seulement si P a les capacités mentales de croire que Dieu existe, mais présente tout de même une absence de croyance en Dieu. » Cette définition serait aussi problématique. Elle implique, en effet, que les agnostiques sont athées de facto (puisque les agnostiques sont mentalement capables de croire que Dieu existe, mais ont une absence de croyance en Dieu). Par exemple, si quelqu'un pense qu'il y a 50 % de chances que Dieu existe, on ne peut pas dire qu'il adhère pleinement à la croyance « Dieu existe ». Cette personne a une absence de croyance positive en l'existence de Dieu. Pourtant, on ne peut pas dire qu'elle soit athée.
Prenons le cas d'un agnostique qui pense que l'existence de Dieu est aussi probable que sa non-existence, et décide d'opter pour le pari de Pascal. Il choisit alors de remettre sa vie à Dieu, même s'il se montre hésitant sur son existence. Il prie au quotidien, va à l'église, mais pense toujours que l'existence de Dieu est aussi probable que sa non-existence. D'après la définition de Thomas Durand, une telle personne serait athée, ce qui semble absurde.
Bref, cette notion d'absence de croyance est défectueuse. Le propre de l'être humain, c'est justement d'avoir des croyances ! Reste à savoir si ces croyances sont justifiées ou non. C'est pour cela que les dictionnaires et les encyclopédies philosophiques définissent bien l'athéisme comme l'affirmation de l'inexistence de Dieu : ce n'est pas une « invention » des méchants théistes ou apologètes ! Cette définition de l'athéisme est partagée par la quasi-totalité des philosophes athées eux aussi. Comme le dit le leader mondial de l'athéisme philosophique, Graham Oppy, « l'athéisme est la croyance selon laquelle il n'existe aucun dieu 39. »
Le philosophe athée Paul Draper, auteur de l'article sur l'athéisme dans la fameuse Stanford Encyclopedia of Philosophy, déclare : « En philosophie, et plus spécifiquement dans la philosophie de la religion, le terme "athéisme" est utilisé pour désigner la proposition selon laquelle Dieu n'existe pas (ou, plus largement, la proposition selon laquelle il n'y a pas de dieux). Ainsi, pour être athée d'après cette définition, il ne suffit pas de suspendre son jugement sur l'existence d'un Dieu. Au lieu de cela, il faut nier que Dieu existe 40. »
Le philosophe britannique Robin Le Poidevin, athée, écrit de son côté : « Un athée est celui qui nie l'existence d'un créateur personnel et transcendant de l'univers, plutôt que celui qui vit simplement sa vie sans référence à un tel être 41. »
John L. Schellenberg, philosophe athée, affirme lui aussi : « L'athée n'est pas juste quelqu'un qui n'accepte pas le théisme, mais plus fortement quelqu'un qui s'y oppose ». En d'autres termes, c'est la « négation du théisme, l'affirmation qu'il n'y a pas de Dieu 42. »
Cette définition se retrouve également dans de multiples encyclopédies et dictionnaires de philosophie. Par exemple, dans la Concise Routledge Encyclopedia of Philosophy, William L. Rowe (athée également) écrit : « L'athéisme est la position qui affirme la non-existence de Dieu. Il propose une incrédulité positive plutôt qu'une simple suspension de croyance 43. »
Une raison évidente qui rend la définition philosophique de l'athéisme (« Dieu n'existe pas ») préférable à celle de Thomas Durand est qu'elle permet de donner une réponse directe à l'une des questions métaphysiques les plus importantes de la philosophie de la religion, à savoir « Dieu existe-t-il ? » Cette question n'a que deux réponses directes possibles : « oui » (théisme) ou « non » (athéisme). Des réponses telles que « je ne sais pas », « personne ne sait », « je m'en fiche », « une réponse affirmative n'a jamais été établie » ou « la question n'a pas de sens » ne sont pas des réponses directes à cette question 44.
Une autre raison de préférer la définition traditionnelle en philosophie d'après Paul Draper est qu'elle rend symétriques les définitions de « l'athéisme » et du « théisme ». En effet, si le théisme est défini par la proposition « Dieu existe », alors, par symétrie, l'athéisme devrait être défini par la proposition « Dieu n'existe pas ». De manière générale, tous les « -ismes » en philosophie sont compris comme l'affirmation d'une position, pas une absence de position.
Ceci est crucial si l'on veut argumenter en faveur du théisme ou en faveur de l'athéisme. Les états psychologiques des individus ne peuvent pas être vrais ou faux, ni être les conclusions d'arguments. Par conséquent, si l'athéisme était une simple absence de croyance en Dieu, on ne pourrait pas dire des choses comme « l'athéisme est vrai » ou « l'athéisme est faux », car une absence de croyance ne reflète aucun contenu propositionnel portant sur la réalité, mais un simple état psychologique dans lequel se trouve une personne.
Ainsi donc, si l'athéisme est défini comme « l'état mental de l'absence de croyance en Dieu », alors il ne peut exister aucun argument contre l'athéisme en principe, car les arguments ne peuvent s'attaquer qu'aux affirmations portant sur la réalité. Vous ne pouvez avoir un argument dont la conclusion est : « Donc l'absence de croyance en Dieu est fausse. » En conséquence, un argument en faveur de la proposition « Dieu existe » ne serait plus un argument contre l'athéisme, ce qui n'a pas de sens.
Pour ces raisons, les philosophes préfèrent définir l'athéisme comme la négation de l'existence de Dieu. Un athée est donc quelqu'un qui affirme que Dieu n'existe pas 45.
L'erreur de l'analogie des jarres
Pour justifier sa définition, Thomas Durand propose l'analogie suivante : « Prenons une jarre dans laquelle on a placé une quantité importante mais inconnue de billes. Si vous me demandez si je crois que la jarre contient un nombre pair de billes, je vous répondrai "non". Si vous voulez en conclure que je crois que la jarre contient un nombre impair de billes, vous êtes imprudent. En réalité, je ne crois pas non plus que la jarre contient un nombre impair de billes. Je peux regarder cette jarre, admettre qu'elle contient des billes et ne tenir aucune croyance du genre. Notez que je ne suis pas agnostique du nombre de billes puisque j'admets qu'on peut tout à fait l'ouvrir et effectuer un comptage qui apporte une réponse définitive. Mais en attendant, je ne crois rien par rapport à la question d'un nombre pair ou impair. Il s'agit bien d'une absence de croyance. » (p. 233)
Thomas Durand vient en réalité de nous décrire ce qu'on appelle l'agnosticisme épistémique, qui diffère de l'agnosticisme épistémologique. En effet, l'agnosticisme épistémologique déclare qu'il est impossible de savoir si Dieu existe ou non. Au contraire, l'agnosticisme épistémique soutient que la proposition « Dieu existe » a à peu près autant de chances d'être vraie que la proposition « Dieu n'existe pas ». Ne croire « rien », ce n'est donc pas croire qu'il n'y a pas de preuve que Dieu existe. Or, il semble que Thomas Durand ne prenne pas cette notion en compte. L'attitude rationnelle face au scénario de la jarre qu'il décrit est de dire que la probabilité épistémique qu'il y ait un nombre pair de billes est de 0,5. Il faut donc opter pour un agnosticisme épistémique 46.
Confusion entre le théisme et le déisme
Thomas Durand fait une confusion importante entre les termes « déisme » et « théisme ». Il estime que le théisme est un « système de croyances centré autour de l'existence d'un créateur du cosmos qui se révèle aux humains à travers des manifestations, principalement des textes et des miracles », tandis que le déisme est un « système de croyances reconnaissant l'existence d'un créateur du cosmos » (p. 15-16). Ainsi, selon le zététicien, un déiste est une personne qui répond « "oui" à la question "Croyez-vous/pensez-vous qu'il existe une entité douée de volonté à l'origine de l'univers ?" », un théiste est une personne qui répond « "oui" à la question "Croyez-vous/pensez-vous qu'il existe un Dieu, qu'il s'est révélé à l'Homme et entretient une relation avec lui ?" » (p. 238).
Or, c'est faux. Le déisme s'est défini historiquement, à la suite des Lumières, comme étant l'idée que Dieu existait et qu'il était resté en retrait du monde 47. Dire que le déisme se réduit simplement à affirmer que Dieu existe, sans plus de précision, pose de graves problèmes de définition. En effet, si le déisme se résumait à la proposition « Dieu existe », alors la proposition « Dieu n'existe pas » devrait être qualifiée d'« adéiste ». Or, on parle bien d'« athéisme » et non d'« adéisme ». Par conséquent, si l'athéisme désigne la croyance en l'inexistence de Dieu (ou l'absence de croyance en Dieu, selon Thomas Durand), alors la croyance en Dieu au sens large devrait, par symétrie, être qualifiée de « théiste » et non de « déiste ».
De plus, si le théisme était l'affirmation selon laquelle Dieu existe et s'est révélé, comme le prétend Thomas Durand, alors nous devrions conclure, par symétrie, que l'athéisme (c'est-à-dire la négation de cette proposition) consisterait à nier l'existence de Dieu ou bien à affirmer que Dieu existe mais qu'il ne s'est pas révélé 48. Selon cette définition, on pourrait donc être athée et croire que Dieu existe, chose parfaitement absurde !
Par conséquent, les objections aux définitions traditionnelles que nous avons rappelées ne tiennent pas debout.
Bilan des définitions
Faisons un petit bilan de terminologie.
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Un théiste est quelqu'un qui affirme la proposition « Dieu existe ».
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Un athée est quelqu'un qui affirme la proposition « Dieu n'existe pas ».
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Un agnostique est quelqu'un qui affirme la proposition « Je ne sais pas si Dieu existe ».
- Parmi les agnostiques, on distingue les agnostiques épistémiques, qui n'ont pas de raisons de pencher d'un côté ou de l'autre, mais qui seraient prêts à se laisser convaincre par des arguments probants ; et les agnostiques épistémologiques qui refusent a priori toute tentative de preuve de l'existence ou de l'inexistence de Dieu, affirmant que la raison humaine est incapable de trancher sur ces questions 49.
Dans la catégorie « théiste », il existe encore deux sous-ensembles : le « théisme révélé » et le « déisme ».
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Le « théisme révélé » affirme non seulement que Dieu existe, mais qu'en plus il s'est révélé à l'homme dans une religion particulière (exemples : christianisme, judaïsme, islam).
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Le « déisme », lui, soutient que Dieu existe, mais qu'il ne s'est pas révélé à l'homme : il est resté en retrait après la création de l'Univers. C'était la position de Voltaire, qui était ouvertement antireligieux, mais qui reconnaissait tout de même que Dieu existait en tant que « grand horloger » de l'Univers.
Sommes-nous tous athées ?
Chose amusante, Thomas Durand tente ensuite de nous expliquer que nous sommes tous athées d'une manière ou d'une autre : « Ceci est rarement souligné mais tous les individus qui se reconnaissent dans le monothéisme font, sans le savoir, l'expérience de l'athéisme. En effet, les chrétiens, juifs et musulmans sont athées vis à vis de Mami Wata, Vishnu, Athéna, Osiris, Marduk ou Izumo [...]. Parmi les dizaines de milliers de divinités adorées au cours de l'histoire, les monothéistes ne sont séparés des athées que par un unique et dernier dieu. Beaucoup de monothéistes considéreraient comme absurde qu'on les appelle "athées". De même, celui qui ne croit pas à l'existence des licornes (ce qui, je présume, est votre cas) n'apprécierait pas d'être étiqueté "alicorniste" ou "amonokériste" » (p. 228-229).
Notre zététicien fait référence ici à de vieux arguments rhétoriques utilisés par certains militants athées aux États-Unis. Selon eux, les croyants sont tous athées vis-à-vis des autres dieux, et les vrais athées vont juste un cran plus loin en attestant l'existence d'aucun dieu. Mais cette affirmation est ridicule. Ce serait comme si un homme célibataire disait à un homme marié : « Toi aussi, tu es célibataire à l'égard de toutes les autres femmes. Moi, je suis juste célibataire à l'égard d'une femme de plus. » Cela n'a pas de sens. Ou bien on est célibataire, on bien on ne l'est pas. De même, ou bien on est athée, ou bien on ne l'est pas. Dire qu'un théiste est athée à l'égard de tous les dieux issus de la mythologie grecque ou autre n'a pas de sens puisque, par définition, un athée professe l'inexistence de tous types de dieux (de même qu'un célibataire est quelqu'un qui n'est marié avec aucune femme).
Remarquons au passage l'aberration intellectuelle qui consiste à comparer les dieux grecs ou indiens au monothéisme classique professant un Dieu transcendant, immatériel, éternel, infini, suprêmement intelligent, omniscient et omnipotent. Il est absurde de mettre sur le même plan l'être le plus parfait qu'on puisse concevoir et de vulgaires créatures contingentes dont les attributs ne sont que le fruit d'anthropomorphismes. Ces dieux ne sont rien d'autre que des « super humains » avec des super pouvoirs.
Dieu versus un « triangle à seize côtés »
Thomas Durand pense qu'il est impossible de statuer sur l'existence de Dieu, de la même manière qu'il est impossible d'établir l'existence d'objets farfelus : « Pourrait-on statuer sur l'existence d'un triangle à seize côtés invisibles situé hors de l'espace-temps et férocement amoureux de toutes les fourchettes mélomanes ascendant Capricorne ? Sûrement pas » (p. 241).
Cette affirmation est stupide. On peut évidemment prouver que de telles choses n'existent pas, car elles sont métaphysiquement contradictoires ! Un triangle a nécessairement trois côtés. Par conséquent, la notion même de « triangle à seize côtés » est impossible. De même, un triangle est nécessairement situé dans l'espace. Il est donc impossible qu'un triangle soit « situé hors de l'espace » (c'est de la géométrie du niveau primaire !). Enfin, un triangle est une forme géométrique, et les formes géométriques ne sont pas susceptibles d'avoir des sentiments ou une quelconque volonté. Par conséquent, les notions mêmes de « triangle férocement amoureux » ou de « fourchettes mélomanes » sont contradictoires en elles-mêmes. Il est donc tout à fait possible de statuer sur l'existence d'un tel triangle : il n'existe pas, car il est ontologiquement contradictoire. Nul besoin d'être un maître en philosophie analytique pour le détecter.
Rien de cela n'est comparable avec le concept de Dieu issu du théisme classique. On pourrait tout à fait statuer sur sa fausseté, si le concept était illogique. Mais il est impossible de démontrer son incohérence interne.