Attaque envers les attributs divins

L'omnipotence de Dieu

Malheureusement, Thomas Durand ne semble pas de cet avis. Il prétend ni plus ni moins montrer (p. 28) que le concept d'un Dieu omnipotent, omniscient et pleinement bon est logiquement contradictoire, et donc que l'existence du Dieu des monothéismes est impossible. Bien sûr, il ne donne aucune définition de l'omnipotence, mais sous-entend qu'elle signifie « pouvoir tout faire ». Or, étant donné que Dieu ne peut pas créer une pierre si lourde qu'il serait incapable de la soulever, il ne peut pas tout faire. Dieu n'est donc pas omnipotent : contradiction. Époustouflante démonstration ! Thomas Durand pense avoir réfuté le théisme classique en moins d'une page ! Comme si l'argument de la pierre n'avait pas déjà été réfuté dès le Moyen Âge par saint Thomas d'Aquin, lorsqu'il analysait les implications logiques de la toute-puissance 50.

Aujourd'hui, plus aucun philosophe athée ne défend cet argument au niveau académique, tant le concept d'omnipotence est mal compris par ceux qui l'énoncent. Thomas Durand pense que l'omnipotence ou la toute-puissance signifie « pouvoir tout faire ». Le problème est que les philosophes théistes n'ont jamais défendu une telle conception de l'omnipotence. La toute-puissance, dira le théiste, c'est pouvoir faire tout ce qui est métaphysiquement ou logiquement possible. Il est absurde de penser que Dieu puisse faire des choses contradictoires, comme créer un cercle carré ou s'opposer au principe de non-contradiction (faire que A et non(A) existent simultanément et sous le même rapport). Il y a un grand nombre de choses que Dieu ne peut pas faire ! Par exemple, Dieu ne peut pas cesser d'exister en se suicidant. Il ne peut pas faire que j'existe et que je n'existe pas à la fois. Il ne peut pas créer un monde où il me force à lever librement la main. Il ne peut pas me donner la dernière décimale de π ou le plus grand de tous les nombres premiers. De même, nous répondons que Dieu ne peut pas créer une pierre qu'il ne pourrait pas soulever, car l'idée même qu'un être tout-puissant puisse créer quelque chose qui vienne l'empêcher d'exercer sa puissance est contradictoire.

Thomas Durand répond à cette objection de la manière suivante : « Dieu, en fait, ne serait pas réellement omnipotent, mais il serait néanmoins capable de faire tout ce qui est logiquement possible [...]. Cette concession est très intéressante lorsqu'elle est proposée, car elle montre que ceux qui cherchent à fonder leur croyance sur la raison sont forcés de placer la logique, en quelque sorte, au-dessus de Dieu » (p. 28-29).

Non, la logique n'est pas « au-dessus » de Dieu. Elle permet simplement de régir le réel. Dieu n'est pas « en dessous » des lois de la logique juste parce qu'il est incapable de faire ce qui est logiquement impossible. En effet, ne pas pouvoir faire l'impossible n'est pas une impuissance, car l'impossible est de l'ordre du néant. Ne pas pouvoir créer un « célibataire marié » ou ne pas pouvoir me dire quelle est la forme du violet n'est pas une impuissance, car les concepts mêmes de « célibataire marié » ou de « forme du violet » sont dépourvus de sens, ils relèvent du non-être.

Ne pas pouvoir faire ce qui est logiquement ou métaphysiquement impossible n'est donc pas contraire à la toute-puissance. Certes, il est vrai qu'il n'est pas logiquement possible de modifier des vérités absolument nécessaires, comme les lois de la logique. Mais il ne s'agit pas là d'une limitation à la toute-puissance de Dieu. Au contraire, il s'agit d'une conséquence de sa perfection. On comprend alors pourquoi Thomas Durand se trompe lorsqu'il affirme : « Il faut admettre que Dieu ne puisse pas changer les lois de la logique. Et donc la logique ne peut qu'aboutir à la conclusion que Dieu n'est pas omnipotent » (p. 106).

Thomas Durand poursuit : « En réalité, ce mouvement de retrait qui limite Dieu à ce qui est logiquement possible est une fausse réponse. Car on peut concevoir de manière parfaitement logique une entité capable de fabriquer un rocher trop lourd pour qu'elle puisse le soulever » (p. 29).

Il est tout à fait vrai qu'on peut concevoir de manière logique un être capable de fabriquer un rocher trop lourd pour qu'il puisse le soulever. En revanche, on ne peut pas concevoir de manière logique qu'un être omnipotent (et donc capable de soulever tout rocher) puisse créer un rocher si lourd qu'il ne puisse le soulever : ce serait une contradiction !

D'après le philosophe Peter Geach 51, il y a même certaines propositions logiquement cohérentes que nous devons nier au sujet de Dieu. Le fait de pouvoir pécher, échouer ou créer quelque chose de trop lourd pour qu'on puisse le soulever sont des propositions parfaitement cohérentes lorsqu'elles sont appliquées à des créatures telles que nous, mais elles deviennent ontologiquement incohérentes lorsqu'elles sont appliquées à Dieu. Aussi Geach propose-t-il une définition tout à fait correcte de l'omnipotence : « "Dieu peut faire x" est vrai si et seulement si "Dieu fait x" est une proposition logiquement cohérente avec sa nature 52. » L'avantage de cette définition de l'omnipotence est qu'elle permet d'éliminer le péché, l'échec, etc. Par exemple, la proposition « X s'est suicidé » est logiquement cohérente lorsqu'elle est appliquée à un être humain, mais devient incohérente dès lors qu'elle est appliquée au concept de Dieu, qui est éternel par nature. Thomas Durand a donc échoué à réfuter le concept d'omnipotence, quand celle-ci est proprement définie.

L'omniscience de Dieu

Mais le zététicien ne s'arrête pas là et tente aussi de réfuter le concept d'omniscience de Dieu 53. Il pense pouvoir déduire de l'omniscience que tous les événements du monde se produisent selon l'intention de Dieu, et estime alors que les conséquences directes sont les suivantes : « 1. les prières sont inutiles et constituent une perte de temps [...] ; 2. le libre arbitre n'existe pas, car chaque décision que vous prenez est la conséquence des intentions initiales de Dieu : vous n'avez aucun moyen d'échapper à ce qui a été planifié de toute éternité pour vous » (p. 30).

Thomas Durand conclut de manière magistrale, fier d'avoir réfuté le théisme classique en trois pages : « Laissez-moi le répéter, car cela aura son importance : l'omniscience de Dieu est incompatible avec le principe du libre arbitre humain. »

Rien de plus, rien de moins. Thomas Durand a-t-il déjà étudié la querelle thomistico-moliniste sur le rapport entre la liberté humaine et l'omniscience de Dieu ? A-t-il déjà lu des philosophes théistes défendant la compatibilité entre l'omniscience divine et le libre arbitre humain ? Manifestement non. Il paraît totalement ignorant et sous-informé en la matière. Surtout, il ne semble tout simplement pas comprendre la chose suivante : le fait que Dieu sache à l'avance que je vais faire X n'implique pas que je ne sois pas libre de faire X. Dieu peut savoir à l'avance si je prendrai des tartines ou des céréales demain matin, tout en me laissant libre de faire le choix. Le fait que Dieu connaisse à l'avance comment je ferai usage de mon libre arbitre n'implique pas qu'il influe sur mon libre arbitre.

Pour mieux comprendre, prenons cette expérience de pensée. Imaginons que vous puissiez voyager dans le temps et voir une action quelconque de votre frère dans le futur (par exemple, le fait qu'il choisira de manger des pâtes lundi prochain). Après avoir vu cela, vous revenez de votre voyage dans le temps. Vous savez à présent comment votre frère agira plus tard. Dira-t-on pour autant que votre frère ne sera pas libre en mangeant des pâtes lundi prochain ? Non, bien sûr que non. Le fait que vous sachiez à l'avance comment il va agir dans telle situation n'implique pas qu'il ne soit pas libre. Il en va de même pour Dieu avec nous. Dieu étant hors du temps, il voit le passé, le présent et l'avenir simultanément. Tout instant de notre existence lui est éternellement présent, mais il choisit de toute éternité de nous laisser libres dans nos actions, tout en sachant comment nous ferons usage de ce libre arbitre.

Cela répond aussi à l'objection de la prière : « Comment peux-tu prier pour quelque chose dans le futur, alors que Dieu connaît déjà ce qu'il va se passer ? » Ici, on peut affirmer que Dieu a déjà ordonné les choses, selon que nous ayons prié ou non. Dieu savait de toute éternité si nous allions prier ou non : en fonction de cela, il a décidé de toute éternité comment il allait répondre à toutes les prières que nous allions effectuer librement en cette vie.

En somme, il faut retenir que le fait que Dieu connaisse tout à l'avance n'implique pas qu'il détermine tout à l'avance. Dieu peut très bien ordonner les choses en prenant en compte la façon dont nous allons librement agir dans telle ou telle situation.

Mais Thomas Durand ne semble pas comprendre ces subtilités et poursuit : « L'individu qui prie demande à Dieu d'infléchir le cours des événements du monde en sa faveur, ce qui entre en contradiction avec l'omniscience de Dieu, laquelle implique que rien ne peut venir changer ses plans car tout était prévu, y compris l'imprévisible » (p. 147).

Or, c'est tout faux. Lorsqu'on prie, on ne demande pas à Dieu de renoncer à son omniscience. Dieu savait de toute éternité si nous allions prier à l'instant t ; en conséquence, il a prévu, de toute éternité, de répondre à la prière que nous lui adressons aujourd'hui et a donc ordonné de toute éternité les événements futurs en fonction de notre demande. Cela n'entre pas en contradiction avec notre libre arbitre ! Il n'y a donc rien d'incompatible entre la prière humaine et l'omniscience divine.

Réfutation de la bonté divine ?

Ayant échoué à réfuter les concepts d'omniscience et d'omnipotence, Thomas Durand décide alors de s'attaquer à la bonté de Dieu : « Objectivement, il y a sur Terre une quantité stupéfiante d'injustices et de souffrances qu'un Dieu tout-puissant devrait pouvoir empêcher. Soit Dieu ne peut pas empêcher le mal, et il n'est pas tout-puissant, soit il ne le veut pas, et alors il n'est pas bienveillant. Soit il n'en a pas conscience et il n'est pas omniscient » (p. 30).

Cette affirmation est tout simplement fausse. À moins d'anéantir ses créatures, Dieu ne peut pas empêcher tout le mal s'il a choisi de donner à certaines de ses créatures un libre arbitre, car il est impossible de forcer une personne à faire quelque chose librement (c'est une contradiction en soi). Or, pour empêcher tout mal qui existe, Dieu devrait retirer le libre arbitre à toutes ses créatures.

Certes, il est vrai que la réponse du libre arbitre humain ne fonctionne pas pour expliquer le mal naturel. Mais il ne faut pas oublier que c'est Thomas Durand qui a la charge de la preuve ici 54. Il doit nous prouver que Dieu ne pourrait pas avoir de bonnes raisons de laisser advenir le mal naturel en vue d'un plus grand bien.

Or, d'un point de vue chrétien, il semble qu'on puisse rendre compte du mal naturel au sens large en faisant appel aux conséquences du péché originel, mais aussi à la chute des anges (qui ont participé à la création du monde et qui, eux aussi, ont un libre arbitre). Les lois de la nature déficientes et irrégulières sont peut-être liées au fait que nous vivions dans un monde déchu dès le commencement. Nous ne disons pas que cette hypothèse est vraie a fortiori, mais si Thomas Durand veut démontrer en quoi Dieu ne peut pas être bienveillant, il doit soutenir que de tels scénarios sont impossibles.

Mais comment pourrait-il démontrer cela ? Il pourrait à la rigueur dire que cette hypothèse est improbable a priori. Dans ce cas, il ne peut pas affirmer péremptoirement avoir démontré l'incohérence logique du théisme classique. Or, c'est précisément ce qu'il fait, puisqu'il écrit en majuscules « UNE ENTITÉ OMNIPOTENTE, OMNISCIENTE ET BIENVEILLANTE EST UNE IMPOSSIBILITÉ LOGIQUE » (p. 33) et, deux pages plus loin : « Ce chapitre anéantit les prétentions de démonstration scientifique d'un Dieu conforme aux dogmes des grandes religions » (p. 35).

Une assertion aussi arrogante frise le ridicule, car Thomas Durand n'a même pas tenté de démontrer que Dieu ne pouvait pas avoir une bonne raison de laisser advenir le mal en vue d'un plus grand bien. Il s'est contenté d'affirmer qu'un Dieu bienveillant et tout-puissant ne laisserait pas le mal se produire 55.

Nous reviendrons sur le problème du mal dans la partie III de cet ouvrage. Pour le moment, nous nous contenterons de rappeler qu'au niveau académique, les philosophes athées comme théistes reconnaissent aujourd'hui que le problème logique du mal est dépassé et qu'il ne démontre pas l'incohérence des trois attributs divins (omniscience, omnipotence et bonté). Cette conclusion fait d'ailleurs consensus, suite aux brillants travaux du philosophe Alvin Plantinga, connu pour avoir définitivement réfuté ce problème 56.

En 1982, le philosophe athée J. L. Mackie, qui avait lui-même argumenté en faveur de l'impossibilité logique d'un Dieu omniscient, omnipotent et pleinement bon, finit même par reconnaître que Plantinga avait réussi à réfuter son argument et que la version logique du problème du mal était résolue : « Nous pouvons admettre que le problème du mal ne démontre pas, après tout, que les doctrines centrales du théisme sont logiquement incohérentes [ou contradictoires] entre elles 57. »

Constat similaire chez William Rowe, philosophe athée, qui a longuement travaillé sur le problème du mal : « Certains philosophes ont soutenu que l'existence du mal est logiquement incompatible avec l'existence du Dieu théiste. Personne, je crois, n'a réussi à établir une affirmation aussi extravagante 58. »

Le philosophe William P. Alston concluait : « Il est désormais admis presque unanimement que le problème logique du mal est réfuté 59. »

Notes de bas de page

50 Saint Thomas d'Aquin, Questions disputées sur la puissance de Dieu, article 5 : « Dieu peut-il faire ce qu'il ne fait pas et défaire ce qu'il fait ? » ; article 7 : « Pourquoi dit-on que Dieu est tout-puissant ? ». Le paradoxe de la pierre avait déjà été traité par Denys l'Aréopagite vers l'an 500 : « Les noms divins », 893B in Pseudo-Dionysius, Œuvres complètes, Aubier, 1943.
51 Peter Geach, « Omnipotence », Philosophy, 48 (183), 1973, p. 7-20.
52 Cité par Paul O'Grady, La philosophie de la religion de Thomas d'Aquin, Presses de l'Université de Rennes, 2019, p. 264.
53 Thomas Durand fait un petit hors sujet en affirmant que le Dieu des religions abrahamiques ne peut pas être omniscient, puisqu'il s'est repenti d'avoir créé l'homme : « Il [Dieu] ne peut pas se repentir réellement d'avoir créé l'Homme et réagir en provoquant le Déluge » (p. 29). Ici, il faut répondre que, lorsque la Genèse dit que Dieu « s'est repenti » (Gn 6, 6) d'avoir créé le monde, ce n'est évidemment pas à prendre au sens littéral. Il s'agit là simplement de la perception qu'en avait l'auteur sacré, mais pas d'une réalité métaphysique parfaitement décrite.
54 La charge de la preuve incombe toujours à celui qui affirme quelque chose.
55 Plus loin dans son livre, Thomas Durand consacre évidemment un chapitre entier sur le problème du mal. Nous y répondrons plus en détail dans la partie III. Ce qui importe ici, c'est qu'il a échoué à établir la fameuse « impossibilité logique », puisqu'il n'a pas réussi à montrer qu'en principe, il ne pouvait pas y avoir de plus grand bien qui résulte du mal permis.
56 Alvin Plantinga, God, Freedom, and Evil, Eerdmans Publishing, 1959. Voir une explication synthétique ici : https://fr.abcdef.wiki/wiki/Alvin_Plantinga%27s_free-will_defense.
57 J. L. Mackie, The Miracle of Theism, Oxford University Press, 1983, p. 154.
58 William L. Rowe, « The Problem of Evil and Some Varieties of Atheism », American Philosophical Quarterly, vol. 16, n° 4, 1979, p. 335-341.
59 William Alston, « The Inductive Argument From Evil and the Human Cognitive Condition », Philosophical Perspectives, n° 5, 1991, p. 29.