Une Révélation tardive ?
Thomas Durand se lance ensuite dans une critique des religions abrahamiques. Selon lui, la révélation divine serait arrivée trop tardivement dans l'histoire et Dieu aurait abandonné l'espèce humaine pendant « une durée d'approximativement cent quatre-vingt-quinze mille ans. Ce long abandon, ces interminables ténèbres, pourquoi Dieu les aurait-il infligés aux humains ? Ce que les monothéismes actuels nous demandent de croire, c'est que, pendant tout ce temps, Dieu est resté caché et a laissé l'humanité [...]. Et puis, soudainement, le créateur des centaines de milliards de galaxies de l'univers visible choisit de se révéler en personne à quelques spécimens, essentiellement des mâles, et exclusivement dans une petite région du Moyen-Orient qui ne brillait pas spécialement pour ses accomplissements ou une quelconque compétence à recevoir et partager le verbe d'une telle entité » (p. 160).
« Attendre neuf milliards d'années après le Big Bang, puis modeler la Terre dans un endroit quelconque d'une immensité astronomique abandonnée à l'entropie destructrice. Faire apparaître la vie, péniblement, dans un environnement hostile bombardé par les astéroïdes et par les radiations cosmiques [...]. Attendre durant cinq épisodes d'extinction massive, véritables apocalypses avant l'heure, horreurs sans nom vécues par des lignées d'espèces sensibles, parfois intelligentes mais livrées au néant. Attendre que quasiment toutes les espèces qui ont vu le jour soient effacées à jamais sans espoir de retour. Et puis, après ce gâchis immense et insensé, quand un primate moins poilu que les autres s'installe, développe le langage, des cultures et colonise le monde... Eh bien attendre dix mille générations de plus dans la misère et l'effroi, la sauvagerie et l'ignorance. Et enfin, au terme d'une attente injustifiée, daigner s'adresser à eux... sans rien leur révéler sur l'histoire sensationnelle dont ils sont issus, sans rien leur expliquer des règles qui régissent la matière et l'énergie, mais en insistant sur les modalités licites ou illicites de leur sexualité, de leur façon de se vêtir ou de leur régime alimentaire, sous peine de grosse punition » (p. 163-164).
Belle tirade. Il faut reconnaître que Thomas Durand a le sens de la rhétorique. Reconnaissons-lui au moins ce talent. Qu'en est-il du fond argumentatif ici ? Le zététicien se plaint du fait que Dieu ait mis tant de temps à se révéler à l'homme. Que dire de cette accusation ?
En premier lieu, il faut admettre que, d'une façon inattendue, Thomas Durand pose très bien le problème de la Révélation. En effet, dès lors que Dieu conçoit une créature capable de comprendre qu'elle est créée, donc amenée à s'interroger sur le projet de son créateur, ne doit-on pas s'attendre à ce qu'il prenne l'initiative, à un certain moment de son histoire, de répondre aux questions que cette créature ne peut résoudre par elle-même ?
Venons-en donc au fait.
D'abord, il faut rappeler que Dieu n'est pas préoccupé par l'efficacité. En effet, l'efficacité n'est importante que pour quelqu'un avec des ressources limitées. Or, Dieu est illimité dans le temps et n'avait donc pas besoin de créer le monde ou de se révéler rapidement.
Ensuite, pour que la Révélation puisse perdurer à travers les siècles, il fallait que l'homme soit en mesure de maîtriser l'écriture et la transmission orale fiable. C'est pourquoi il ne convenait pas que Dieu se révèle à l'homme préhistorique qui, n'étant pas doté de l'écriture, n'aurait pas pu transmettre adéquatement la Révélation de génération en génération, de sorte qu'elle soit entièrement préservée jusqu'à aujourd'hui. Les textes de la Bible, en particulier du Nouveau Testament, ont été intégralement préservés 245.
De plus, il est important de rappeler que la Révélation chrétienne s'est faite juste avant l'explosion démographique mondiale. En effet, sur les 110 milliards d'êtres humains ayant vécu sur Terre 246, l'immense majorité d'entre eux ont vécu entre l'an -1800 et aujourd'hui (voir le graphique ci-dessous). La publication des Nations Unies The Determinants and Consequences of Population Trends nous apprend que l'Homo sapiens moderne serait apparu il y a environ 50 000 ans avant Jésus-Christ, et que, à l'aube de l'agriculture (environ 8 000 ans avant Jésus-Christ), la population mondiale était d'environ 5 millions. La croissance de la population au cours de ces huit millénaires avant Jésus-Christ, est passée de 5 millions environ à 300 millions en l'an 1 de notre ère 247. En particulier, la population mondiale a été multipliée par 4 ou 6 entre l'an -2000 et l'an 1, passant de 50 millions à 200-300 millions 248.
Par conséquent, il semble que le moment de la Révélation au peuple juif a été parfaitement opportun. Dieu s'est révélé pile avant l'explosion exponentielle de la population !
Dieu a ensuite attendu que le peuple d'Israël soit prêt à recevoir le Messie. Il s'est assuré que l'époque dans laquelle il allait s'incarner serait une époque d'alphabétisation pour que la Révélation puisse se transmettre de génération en génération.
Ainsi, contrairement à ce que prétend Thomas Durand, il semble que donner à l'homme la Révélation plénière il y a 2 000 ans fut l'un des choix les plus opportuns possibles (ni trop tard par rapport à l'explosion démographique, ni trop tôt par rapport à la nécessité d'alphabétisation pour une transmission écrite de la Révélation divine qui puisse perdurer).