Les démons, une réponse au problème du mal ?

Une autre piste pour expliquer l'existence du mal naturel sur terre nous vient directement de la Révélation chrétienne. Si le christianisme est vrai, alors nous vivons dans un monde déchu depuis la chute des anges au tout début de la création. Le christianisme affirme en effet que les anges ont coopéré à l'œuvre créatrice de Dieu ex nihilo dans l'arrangement de la matière. Le mal naturel peut s'expliquer par le fait qu'une partie des anges révoltés (qu'on appelle les démons) ont semé le trouble et le chaos dans les lois de la nature dès le commencement. Toutes les déficiences qu'on retrouve dans la nature (maladies, irrégularités, etc.) sont le fruit de leurs actes de rébellion libre contre Dieu, qui ne peut empêcher ces maux sans violer le libre arbitre de ses créatures. Ce serait une impossibilité logique.

Thomas Durand répond à cette hypothèse de la manière suivante :

« Pour répondre au paradoxe d'un Dieu bon qui laisse se perpétrer des atrocités frappant les animaux doués de sensibilité mais incapables de pécher, la parade d'Alexis Masson était : les démons. Ces êtres surnaturels dévolus au mal seraient les véritables causes de tous les malheurs qui ne viennent pas de nous. Et si ces démons existent, c'est toujours pour la même raison : Dieu les a créés par amour, un amour si fort qu'en dépit des conséquences, il ne pouvait pas les condamner à la non-existence [...]. Bien sûr, il reste à voir ce qui innocenterait le Dieu qui sait tout d'avoir créé Satan en n'ignorant pas ce que cela allait provoquer » (p. 176 et 170).

L'objection de Thomas Durand consiste à soutenir qu'un Dieu d'amour, omniscient et omnipotent n'aurait jamais dû créer Satan, puisqu'il savait à l'avance tout le mal qui allait en découler. Dieu serait donc en quelque sorte « responsable » de la chute de Satan, des autres démons et du mal qu'ils ont engendré par la suite. Mais l'objection n'est pas solide. En effet, bien que Dieu soit responsable de l'existence de ses créatures, il n'est pas responsable de leurs mauvaises actions (qui sont réalisées en toute liberté). De même, les parents ne sont pas coupables du mal commis par leurs enfants, bien qu'ils soient responsables de leur existence.

À ce stade, un objecteur de bonne foi pourrait nous répondre ceci : certes, les parents ne sont pas responsables du mal commis par leurs enfants, notamment parce qu'ils ne savaient pas que leurs enfants allaient commettre ce mal avant de les avoir conçus. S'ils avaient été au courant, ils auraient dû refuser de procréer. Or, Dieu connaissait déjà toutes les futures actions de Satan et des anges déchus avant de les avoir créés. Il aurait donc dû s'abstenir de les créer.

Nous répondrons à cette objection que Dieu savait évidemment de toute éternité que Satan et d'autres anges allaient chuter, s'il les créait. Mais il savait aussi que, malgré la rébellion des anges, un plus grand bien allait triompher du mal et que sa miséricorde pourrait alors se déployer. En effet, ce n'est qu'à partir du moment où l'on a connu le péché que la grâce peut surabonder à travers le pardon de Dieu. Sans la chute des anges, il n'y aurait pas de voie alternative possible à suivre pour l'homme, donc pas de péché et pas de rédemption possible. Le plus grand bien que Dieu tire de la chute des anges, c'est donc précisément la possibilité de pardonner aux hommes qui ont temporairement décidé de suivre ces démons dans le péché. Il n'est donc pas absurde de la part de Dieu d'avoir choisi de créer les anges, même s'il savait à l'avance que certains d'entre eux allaient librement se rebeller contre lui et générer le mal naturel.