Le pari de Pascal
Venons-en à présent au pari de Pascal. Ce pari n'est pas en soi un argument en faveur de l'existence de Dieu, mais Thomas Durand lui a tout de même consacré un chapitre. Voyons si ses critiques tiennent la route. Le zététicien ne peut s'empêcher de décrire ce fameux pari comme « un exemple de rhétorique de la peur » (p. 165).
Or, ceci est faux. Le vrai pari de Pascal n'est pas fondé sur la « peur de l'enfer ». Il se présente plutôt sous la forme d'une recherche pragmatique du bonheur. Si je crois en Dieu et que je lui remets toute ma vie en essayant de l'aimer d'un cœur sincère, j'aurai un bien infini : être comblé éternellement de son amour. Au contraire, si je ne crois pas en Dieu et que je vis comme s'il n'existait pas, je perdrai un bien infini : je serai séparé de Dieu pour l'éternité. Par conséquent, si je suis agnostique sur la question de l'existence de Dieu, alors il est pragmatiquement préférable de croire en lui 210.
Voilà une version qui nous semble légèrement plus plausible et acceptable. Le pari de Pascal, à notre avis, n'est pas véritablement efficace pour un athée qui nie l'existence de Dieu, mais plutôt pour un agnostique qui hésite. Celui-ci, en effet, n'a rien à perdre et tout à gagner à croire en Dieu.
Des milliers de dieux ?
D'après Thomas Durand, « le challenge perdrait soudain son attrait s'il fallait parier sur un seul des milliers de dieux qui jalonnent l'histoire » (p. 166).
Le problème de cette objection est que tous les dieux dans l'histoire des peuples n'ont pas la même probabilité intrinsèque d'exister. Il est évident que le Dieu des religions monothéistes transcendant, immatériel, acte pur et intelligence suprême créatrice de l'Univers a bien plus de chance d'exister que Zeus, Dionysos ou le dieu du pastafarisme dont nous a parlé le zététicien. Les options sont loin d'être équiprobables. Par conséquent, il est absurde de mettre sur le même plan le Dieu monothéiste et les dieux grecs. Certaines hypothèses théistes sont tellement extravagantes qu'elles peuvent être rejetées en principe, parce qu'elles n'ont aucun fondement historique ou philosophique. L'existence de milliers de dieux dans l'histoire de l'humanité n'est donc pas une objection sérieuse au pari de Pascal 211.
Peut-on choisir de croire en Dieu ?
Thomas Durand objecte aussi que « le pari de Pascal repose sur un présupposé qui a toutes les chances d'être faux : on ne peut pas "choisir" de croire X par pur acte de volonté » (p. 167).
Or, cette affirmation est ni plus ni moins une négation non argumentée du volontarisme doxastique, thèse selon laquelle il est possible de former certaines croyances volontairement.
Nous sommes tout à fait d'accord avec Thomas Durand sur le fait qu'il est impossible de se forcer à croire certaines choses totalement irrecevables d'un point de vue intellectuel. Par exemple, vous ne parviendrez pas à me faire croire que 1 + 1 = 3, même si j'essayais d'y croire de toutes mes forces. Mais de là à dire qu'il est impossible de croire quoi que ce soit par un acte de volonté, il y a un pas à ne pas franchir. En effet, il est tout à fait possible de choisir volontairement de croire certaines choses 212.
Imaginons, par exemple, que mon fils se soit perdu au beau milieu de la forêt il y a quelques jours et que les secours s'activent à le chercher. Dans ce genre de situation, je peux tout à fait choisir de croire qu'ils vont le retrouver par un acte de volonté, même si je ne suis pas intellectuellement convaincu qu'ils vont y arriver. Cette croyance pragmatique m'aide à ne pas désespérer.
De même, si on teste sur moi un médicament qui n'a jamais encore été testé sur les humains (admettons que ce soit le seul moyen de tenter de me guérir d'une maladie), alors il serait parfaitement légitime pour moi d'espérer que ce médicament va me guérir. Il est donc tout à fait possible (et même épistémiquement acceptable sous certaines conditions) de choisir de croire X par un acte de la volonté, même si l'on n'est pas convaincu de la vérité de X.
Il en va de même avec Dieu. Si vous êtes agnostique et que statuer sur l'existence de Dieu vous semble hors de portée, vous pouvez tout de même choisir de croire en lui en espérant qu'il existe. Vous pouvez choisir d'aller à l'Église pour assister au culte ou réaliser des prières conditionnelles 213. Ce type de démarche est parfaitement légitime et honorable pour quelqu'un qui se dit agnostique.
Contrairement à ce que prétend Thomas Durand, le pari de Pascal ne revient en aucune façon à « tenter de flouer [Dieu] en feignant la foi » ou en agissant « par intérêt » (p. 167). Il s'agit plutôt de lui remettre totalement sa vie en vivant comme s'il existait, bien que je n'en aie pas la claire certitude pour le moment. Lui adresser une prière de demande telle que « Dieu, si tu existes, je t'aime et je veux m'unir à toi ; pardonne-moi mes péchés » n'est pas « feindre la foi » par intérêt personnel. Il s'agit bien d'un amour authentique de Dieu, s'il existe.