L'argument de la contingence (version leibnizienne)

L'argument cosmologique de la contingence part du fait qu'il existe des êtres contingents dans le monde, et en déduit l'existence d'un être nécessaire, dont les attributs sont divins.

Remarque préliminaire : confusion des arguments

Chose amusante, Thomas Durand a confondu cet argument avec l'argument du kalam développé précédemment : « Cet argument appelé aussi "preuve par la contingence du monde" tire son origine de penseurs médiévaux musulmans, c'est pourquoi on le nomme également "l'argument de la kalâm [...]. En bref, il faut que quelque chose soit la cause de l'existence de l'univers et de son état actuel. C'est le "principe de raison suffisante" » (p. 67).

Cette affirmation est précisément une erreur de débutant. L'argument du kalam est parfaitement distinct de l'argument leibnizien, étant donné qu'il cherche à montrer que l'Univers a commencé d'exister. Cela n'a absolument rien à voir avec le principe de raison suffisante (qui s'applique à l'Univers, même s'il est éternel d'après Leibniz). Il est donc assez amusant que Thomas Durand commence son chapitre sur le kalam par un avertissement : « Cet argument ressemble beaucoup au précédent 110 [celui de la contingence, que nous allons voir juste après] ; ils sont d'ailleurs assez souvent confondus » (p. 77). Thomas Durand ne croit pas si bien dire, puisque justement il les a lui-même confondus ! Quelle ironie !

Venons-en à l'argument. Avant tout, il nous faut rappeler la définition de quelques termes techniques utilisés dans cette preuve, car les non-initiés à la métaphysique pourraient avoir quelques problèmes de compréhension.

Définitions des termes

  • Monde possible : un monde possible est une description complète et maximale de la réalité telle qu'elle aurait pu être. Par exemple, il y a un monde possible où je mangerai des céréales demain matin. Il y a aussi un monde possible où je n'existe pas, un monde possible où ce livre n'existe pas, un monde possible où une licorne rose existe, etc. Une chose appartient à au moins un monde possible s'il n'est pas logiquement ou métaphysiquement impossible qu'elle existe.

  • Monde impossible : un monde est dit « impossible » s'il décrit un état des choses qui ne peut pas exister (cet état des choses est logiquement ou métaphysiquement contradictoire). Par exemple, les concepts de « célibataire marié », de « cercle carré » ou de « triangle à quatre côtés » sont des états des choses impossibles.

  • Nécessaire : un être est nécessaire s'il doit exister dans tous les mondes possibles. Autrement dit, il n'aurait pas pu ne pas exister. On dit qu'un être est nécessaire s'il est impossible que cet être n'existe pas (son inexistence est logiquement ou métaphysiquement impossible). Des exemples typiques d'états des choses nécessaires seraient les propriétés telles que « 1 + 1 = 2 », « la somme des angles d'un triangle fait 180 degrés », ou encore les lois de la logique comme A ⇒ B ⇔ Non(B) ⇒ Non(A). Les états des choses nécessaires ne se réduisent pas aux lois logiques, mais s'appliquent aussi aux concepts métaphysiques : « la hauteur d'une montagne est strictement positive » et « les chevaux sont des animaux » sont des vérités nécessaires, car il est impossible qu'une montagne n'ait pas une hauteur strictement positive ou qu'un cheval ne soit pas un animal. Ces états des choses sont vrais dans tous les mondes possibles.

  • Contingent : un être est contingent s'il n'a pas en lui même la raison de son existence. On dit que X est contingent si et seulement s'il existe un monde possible où X existe, mais que X n'existe pas dans tous les mondes possibles. Par exemple, le livre que vous avez entre les mains est contingent : il existe, mais il aurait pu ne pas exister. Les voitures, les arbres, les personnes, les animaux, les cailloux sont tous des êtres contingents. Il n'existe pas de contradiction logique ou métaphysique à concevoir leur inexistence.

Le principe de raison suffisante (PRS)

Par une expérience intuitive, vous voyez que tous les êtres contingents dans notre existence ont une cause. Votre chaise, votre lit, vos cours, etc., sont des êtres causés, étant donné leur aspect contingent (ils auraient pu ne pas exister).

En revanche, cela n'est pas le cas pour les êtres nécessaires. Il ne vous viendrait pas à l'idée de demander une explication extérieure au fait que 1 + 1 = 2. Cela n'aurait pas de sens ! Les faits nécessaires, eux, n'ont pas besoin d'explication externe, car ils ont en eux-mêmes l'explication de leur existence. Il serait stupide de demander pourquoi ce triangle-ci a trois côtés, car c'est un fait nécessaire. En revanche, il serait tout à fait pertinent de se demander pourquoi la longueur des côtés de ce triangle vaut une certaine valeur plutôt qu'une autre, car il s'agirait alors d'un fait contingent.

C'est là qu'on saisit ce que nous dit le principe de raison suffisante : tout ce qui n'a pas en soi la raison de son existence a une cause ou une explication externe. Autrement dit, les faits contingents ont toujours une explication en dehors d'eux-mêmes.

La contingence de l'Univers

Avant d'appliquer ce principe à l'Univers, il convient de déterminer si l'Univers est contingent. Par « Univers », il faut entendre la « totalité de l'espace-temps et de la réalité matérielle ». L'Univers en question est donc à prendre au sens large : il peut contenir l'ensemble des multivers s'ils existent, mais aussi et surtout tous les êtres contingents de notre quotidien (les arbres, les maisons, les personnes, les fluctuations quantiques, la matière noire, etc.).

La question est la suivante : l'Univers est-il contingent ou nécessaire ? (L'option « impossible » ici n'a pas lieu d'être, puisque l'Univers existe.) Thomas Durand affirme d'emblée que la contingence de l'Univers n'a jamais été établie (sans donner le moindre argument) : « L'argument cosmologique a pour point de départ que l'univers — et tout ce qu'il contient — est contingent : il aurait pu ne pas exister ou être différent. D'emblée, il faut préciser que ce principe ne repose sur rien, c'est un postulat arbitraire ; [...] il est fallacieux de considérer que les conclusions tirées de cette hypothèse non prouvée ont un lien avec le réel » (p. 67) ; « La contingence du monde n'est pas attestée, il s'agit d'un postulat, d'une prémisse qu'aucun apologète n'a jamais réellement prouvée » (p. 69) ; « Rien ne prouve que certaines choses dans l'univers ne sont pas nécessaires ; personne n'en sait rien » (p. 70).

Notre zététicien se contente d'émettre une assertion. Il ne démontre rien. Il ne s'attaque pas à toutes les nombreuses raisons qui ont été proposées en faveur de la contingence de l'Univers 111. Nous nous contenterons ici d'en lister quelques-unes.

  1. L'Univers a un commencement. Il est en effet possible de démontrer rationnellement que l'espace-temps a commencé d'exister (voir plus haut). Or, puisque tout ce qui a commencé d'exister a une cause, l'Univers ne peut pas être nécessaire, car ce qui est nécessaire ne peut pas ne pas exister et doit donc exister de toute éternité.

  2. Il n'y a aucune contradiction à concevoir d'autres mondes possibles dans lesquels notre Univers n'existerait pas, ou serait différent. Il n'est pas métaphysiquement impossible de concevoir un monde sans astéroïdes, sans planètes, sans étoiles, voire sans matière ! Par conséquent, il ne semble pas y avoir de nécessité à ce que l'Univers soit tel qu'il est.

  3. Les lois qui régissent l'Univers sont déterminées par des constantes fondamentales très précises, qui auraient pu être différentes. En effet, on peut concevoir d'autres mondes possibles avec des lois et des constantes fondamentales différentes (légèrement plus grandes ou légèrement plus petites), sans que cela implique une quelconque contradiction. Ces lois et ces constantes, considérées en elles-mêmes, ne sont donc pas nécessaires. On pourrait effectivement se demander pourquoi les électrons ou les atomes font cette taille et non une autre. Pourquoi ne sont-ils pas un tout petit peu plus grands ou plus petits ? On voit bien que ces traces de limites sont des éléments contingents, car on peut concevoir sans contradiction qu'elles aient pu être différentes.

  4. L'Univers contient un grand nombre d'événements indéterminés. On le sait grâce à la physique quantique. Cela signifie que, si l'on considère l'Univers en lui-même à un instant t, il aurait pu donner lieu à des événements quantiques tout à fait différents à un instant t + 1, ce qui contredit la notion même de nécessité 112.

  5. Enfin, sauf à démontrer que l'Univers contient au moins un être nécessaire, une dernière raison en faveur de la contingence de l'Univers est qu'il est formé par une conjonction (finie ou infinie) d'êtres contingents. Comment cette conjonction pourrait-elle donner quelque chose de nécessaire ? Il y a là un problème de construction... De la même façon qu'une somme de briques bleues ne pourra jamais donner un mur rouge, une somme d'êtres contingents ne pourra jamais donner un être nécessaire. Si vous prenez un grand nombre d'êtres contingents (par exemple : bateaux, baleines, pingouins, montagnes, fluctuations quantiques, hommes politiques, etc.) et que vous en faites la somme, la totalité que vous allez obtenir sera elle-même contingente. Il est ainsi aisé de voir que, même s'il existait une infinité d'êtres contingents, la conjonction de tous ces êtres ne pourrait jamais former une entité nécessaire.

Un sophisme de composition ?

Thomas Durand affirme que la dernière raison que nous avons donnée en faveur de la contingence de l'Univers commet un sophisme de composition : « Enfin, quand bien même tout ce que contient l'univers serait contingent, c'est commettre un sophisme de composition que de dire que l'univers lui-même serait contingent » (p. 70).

Il nous accuse de commettre un raisonnement fallacieux, du type « chaque plume est légère, donc la somme des plumes est légère ». Sauf que ce n'est pas le cas. Toutes les inférences de la partie au tout ne sont pas erronées. Par exemple, il est vrai que, si chaque plume est rouge, alors la somme des plumes est rouge également. Tout dépend de la nature de la chose considérée. Les propriétés accidentelles et relatives de la chose, tels le poids et la taille, ne peuvent pas faire l'objet d'une telle inférence, mais les propriétés essentielles et absolues, tels le goût, la couleur, la causalité, la contingence, etc., peuvent subir l'agrégation de la partie au tout, sans qu'il y ait de sophisme de composition 113.

Par conséquent, contrairement à ce que prétend Thomas Durand, nous avons donc de bonnes raisons de penser que l'Univers est contingent. D'après le principe de raison suffisante, il doit donc avoir une explication en dehors de lui-même qui puisse rendre compte de son existence. Il est absurde de dire que la contingence de l'Univers « ne repose » sur rien ou qu'il s'agit d'un postulat arbitraire, d'autant plus quand on ne prend même pas le temps de traiter des arguments du camp adverse.

La nature de la cause

Mais alors, quelle est la cause de l'Univers ? Peut-elle être contingente elle aussi ? Non, car l'Univers inclut tous les êtres contingents. Il s'ensuit par élimination que la cause de l'Univers réside dans l'existence d'un être nécessaire, c'est-à-dire un être qui n'aurait pas pu ne pas exister.

Une question se pose alors : à quoi ressemble cet être nécessaire ? Eh bien, il doit être, par définition, dépourvu de tous les attributs contingents ! Il doit être impossible de pouvoir se demander à son propos s'il aurait pu être autrement. En conséquence, il doit être dépourvu de toutes limites arbitraires au sein même de son essence. Il ne peut pas avoir des attributs finis, car tout ce qui est fini ou matériel est contingent. Il ne peut pas être composé de parties, puisque toute forme de composition interne nécessiterait alors une explication externe qui rende compte de la configuration de l'assemblage. En conséquence, il doit être absolument infini, immuable, éternel, immatériel, non spatial. On sait aussi, comme on l'a vu dans l'argument du kalam, que ce qui est immatériel est soit une abstraction, soit un esprit (du moins ce sont les seuls candidats plausibles). Or, les abstractions n'ayant pas de pouvoir causal, on peut logiquement inférer que l'être nécessaire est de nature spirituelle, c'est-à-dire disposant d'une intelligence et d'une volonté.

On peut aussi établir que l'être nécessaire doit être tout-puissant. En effet, on constate que l'être nécessaire, ayant créé l'Univers, doit avoir un degré non nul de puissance (car un être impuissant n'aurait rien pu produire). Or, toute limite finie strictement positive de puissance serait arbitraire, car on pourrait alors se demander pourquoi l'être nécessaire n'a pas X + 1 degré de puissance au lieu de X. De manière générale, les attributs essentiels de l'être nécessaire se décrivent soit par 0, soit par l'infini, pour éviter toute forme d'arbitraire. Ainsi, puisque l'être nécessaire a créé le monde, il admet un degré non nul de puissance, mais comme, par ailleurs, il n'admet pas de limites arbitraires, il s'ensuit qu'il possède une puissance infinie, c'est-à-dire qu'il est capable de faire tout ce qui est logiquement possible. On appelle cela l'omnipotence 114.

De l'omnipotence découle l'omniscience. En effet, si l'être nécessaire est tout-puissant, il doit être capable de tout connaître, puisque la connaissance est un pouvoir de l'intellect. Un être à qui il manquerait des connaissances ne pourrait donc pas être tout-puissant 115.

On peut aussi savoir que l'être nécessaire est libre, car il produit un effet contingent. Or, la production d'un effet contingent par un être nécessaire ne peut s'expliquer que par un acte contingent, c'est-à-dire libre. En effet, si l'être nécessaire n'était pas libre dans la création de l'Univers, celui-ci devrait spontanément découler de l'être nécessaire par une émanation simultanée. Ainsi, l'effet produit serait nécessaire également, ce qui est contradictoire (puisque l'Univers est contingent).

Enfin, venons-en à la bonté. On sait que l'être nécessaire n'a besoin de rien, puisqu'il est auto-subsistant (s'il avait besoin de quelque chose, il serait dépendant d'un autre, ce qui impliquerait alors une forme de contingence). Or, de toute évidence, il a choisi de créer un monde. La création du monde ne peut donc qu'être un acte de générosité, car l'être nécessaire n'en tire aucun profit. Il agit en toute gratuité. L'être nécessaire possède donc un degré non nul de bonté. En passant à la limite comme précédemment, on en déduit que l'être nécessaire est pleinement bon.

Voilà en résumé le cœur du raisonnement, une version prolongée de l'argument de Leibniz :

  1. Principe de raison suffisante : toute chose qui n'a pas en elle-même la raison de son existence (c'est-à-dire qui est contingente) a l'explication de son existence en une autre (a une cause).

  2. Or, l'Univers (la conjonction de tous les êtres contingents) est lui-même contingent.

  3. Donc l'Univers a une cause.

  4. S'il existe un être qui est la cause de tous les êtres contingents, alors cet être est nécessaire (il ne peut pas être contingent, car il est la cause de tous les êtres contingents).

  5. Donc l'être nécessaire existe.

  6. L'être nécessaire doit être dépourvu de tous les attributs contingents et, par conséquent, de toutes limites arbitraires (qui requièrent une explication externe).

  7. Par conséquent, l'être nécessaire est :

— immatériel (car s'il était matériel, il ferait partie de l'Univers et il serait contingent) ;

— éternel (car s'il était dans le temps, il ferait partie de l'Univers et il serait contingent) ;

— non spatial (car sinon, il serait dans l'Univers) ;

— de nature spirituelle (car ce qui est immatériel est soit une abstraction, soit un esprit, mais les abstractions n'ont pas de pouvoir causal) ;

— plus généralement : dépourvu de toutes limites arbitraires (qui seraient des attributs contingents), ce qui implique l'omnipotence et l'omniscience (degré non nul de puissance et de connaissance + passage à la limite) ;

— libre (car la production d'un être contingent par une cause nécessaire ne peut s'expliquer que par un acte contingent, c'est-à-dire libre) ;

— bon (car, étant auto-subsistant, il agit en toute gratuité en choisissant de créer le monde, n'en tirant aucun profit).

  1. Donc il existe un être nécessaire, cause ultime de tous les êtres contingents, qui est immatériel, éternel, non spatial, spirituel, libre, dépourvu de toutes limites arbitraires (omniscient, omnipotent et bon), qu'on appelle « Dieu ».

Objections de Thomas Durand

Venons à présent aux objections que propose Thomas Durand :

  1. « La faille logique est que si l'on admet que Dieu peut ne pas avoir de cause, on peut tout aussi bien admettre que le cosmos pourrait ne pas en avoir, ce qui anéantit la démonstration » (p. 69).

Objection bien faible encore une fois. Il n'y a aucune faille logique à dire que le cosmos a une cause mais que Dieu n'en a pas. En effet, le théiste peut montrer que le cosmos n'est pas la cause incausée de par sa contingence et son commencement. Or, Thomas Durand ne répond nullement aux arguments qui ont été proposés pour démontrer que le cosmos avait une cause.

  1. « On pourrait facilement arguer que si un Dieu omniscient existe, alors l'univers n'est pas contingent : il est nécessaire, car la pleine connaissance que Dieu a de l'avenir implique que les choses n'auraient pas pu être autrement » (p. 69-70).

Il n'y a pas de lien entre l'omniscience de Dieu et la nécessité des événements futurs. Dieu peut très bien connaître de futurs événements contingents sans les avoir déterminés au préalable. Bien que Dieu sache de toute éternité comment tout va se dérouler (étant en dehors du temps), il ne s'ensuit pas qu'il détermine à l'avance les événements futurs.

  1. « Certains philosophes tiennent à sauvegarder cet édifice théologique en expliquant que les êtres humains, par leur contingence même, démontrent l'existence de Dieu. "Si j'existe alors que j'aurais pu ne pas exister, c'est donc que mon existence a été voulue pour elle-même, qu'elle est le fruit d'un acte créateur gratuit qui me pose dans l'être par-delà toute nécessité" » (p. 71-72).

Ceci est une pure attaque de l'homme de paille. Cette affirmation n'a jamais été défendue au niveau académique en philosophie de la religion. Thomas Durand ferait mieux de considérer les philosophes théistes sérieux (Pruss, Koons, Swinburne, Rasmussen, Craig, Guillaud, Oderberg, etc.) plutôt que de s'attaquer aux commentaires YouTube.

  1. « Le principe de causalité n'a jamais supposé qu'un effet puisse être le produit d'une cause immatérielle extérieure au temps et à l'espace... Par conséquent, cet argument est une fallacie non sequitur (la conclusion ne suit pas les prémisses) » (p. 72).

Le principe de causalité affirme uniquement que tout effet a une cause ou que tout ce qui est contingent a une cause. Mais il ne précise en aucun cas la nature de cette cause ! La cause pourrait être matérielle ou immatérielle (le principe de causalité laisse ces possibilités ouvertes). Or si la totalité de la réalité matérielle a une cause, alors cette cause ne peut pas être matérielle. Il n'y a aucun non sequitur à dire cela. Il y aurait une contradiction uniquement si le principe de causalité disait que tout effet a une cause matérielle (ce qui n'est pas le cas).

L'hypothèse pastafariste comparée au théisme

Thomas Durand ose une comparaison sidérante entre le théisme et la religion pastafariste : « Le pastafarisme raconte que l'univers a été créé par le Monstre de Spaghetti Volant (MSV) après une soirée trop arrosée » (p. 59).

Comment peut-il comparer ce scénario avec les religions monothéistes ? Pense-t-il vraiment que les religions abrahamiques sont aussi grotesques que cela ? Amusons-nous un peu et relevons le défi de prendre au premier degré cette énorme plaisanterie !

Il est en réalité possible de démontrer conceptuellement que le pastafarisme est faux. En effet, la phrase « L'univers a été créé par le Monstre de Spaghetti Volant (MSV) après une soirée trop arrosée » est une contradiction en soi, puisque une « soirée arrosée » présuppose déjà l'existence de l'Univers pour avoir lieu. Par conséquent, l'Univers (c'est-à-dire la totalité de l'espace-temps) n'a pas pu être créé à la suite d'une soirée. Le pastafarisme est donc nécessairement faux.

Il est d'ailleurs sidérant que Thomas Durand ose comparer une « religion » aussi stupide que le pastafarisme au Dieu du théisme classique, c'est-à-dire à un être métaphysiquement nécessaire, immatériel, éternel, non spatial, transcendant à toute réalité créée. Du fait d'être composé matériellement (de spaghetti), de voler (dans l'espace), ce « Dieu Spaghetti » est par définition incapable de correspondre à celle de Dieu démontrée par la métaphysique.

Mais apparemment, cette différence ontologique manifeste n'a pas l'air de choquer l'intellect de Thomas Durand qui, lui, pense au contraire que le Monstre en Spaghetti Volant est plus proche de la perfection que le Dieu du théisme classique ! Oui, ce n'est pas une blague, c'est précisément ce qu'il a osé écrire : « On peut même défendre l'idée que le pastafarisme a un avantage sur les autres religions : il considère que son Dieu a le sens de l'humour, ce qui le rend plus proche de la perfection » (p. 60).

L'amour de Dieu contesté

Thomas Durand s'attaque aussi à l'hypothèse « Dieu est amour » en déclarant péremptoirement : « En l'absence d'autre preuve matérielle, une démarche véritablement rationnelle consisterait à considérer que "Dieu est amour" est en contradiction avec les observations du monde réel » (p. 178). « Aucun apologète n'a réussi à proposer une manière de vérifier l'hypothèse "Dieu est amour" » (p. 53).

Si l'on entend le mot « vérifier » au sens empirique, alors il est évident qu'aucun apologète n'a jamais réalisé une telle chose, tout simplement parce qu'il est impossible de connaître les attributs divins de manière empirique ! En revanche, si l'on entend le mot « vérifier » au sens d'« apporter des arguments en faveur du fait que Dieu aime sa créature », alors l'affirmation de Thomas Durand est fausse. Elle prouve d'ailleurs qu'il n'a jamais lu la première partie de la Somme théologique de saint Thomas d'Aquin, intégralement consacrée aux preuves de l'existence de Dieu et à ses attributs.

Saint Thomas d'Aquin certifie bel et bien pouvoir montrer que « Dieu est amour », au sens où il veut le bien de sa création. En effet, aimer consiste précisément à vouloir le bien de l'autre. Donc, pour montrer que Dieu est amour, il faut montrer qu'il veut le bien de sa créature.

Mais comment montrer que Dieu veut notre bien ? Nous pouvons raisonner ainsi : l'être nécessaire est auto-subsistant. Il n'a donc pas « besoin » de créer le monde pour satisfaire ses propres intérêts. Donc, si Dieu a créé le monde, sa création ne peut qu'être le fruit d'un acte gratuit et généreux (car il n'en tire aucun profit). Le premier acte gratuit et généreux effectué envers ses créatures est précisément de leur donner l'existence. Or, si Dieu a agi gratuitement et généreusement envers ses créatures, il ne peut que vouloir leur bien. Par conséquent, Dieu aime ses créatures au sens où il veut qu'elles se réalisent pleinement selon leur nature. C'est en ce sens que l'on peut dire que Dieu veut notre bien.

On pourrait encore argumenter autrement : le fait que Dieu aime sa créature découle nécessairement de sa nature parfaite (car l'amour est une perfection). En effet, un être imparfait admet des limites arbitraires, et toute limite arbitraire est une trace de contingence. Par conséquent, s'il existe un être nécessaire, il doit être dépourvu de limites arbitraires et donc posséder toutes les perfections possibles. Or, un créateur maléfique n'aurait pas toutes les perfections possibles. Ainsi, l'être nécessaire ne peut pas être maléfique.

Notes de bas de page

110 Pour rappel, tandis que l'argument du kalam se focalise uniquement sur le commencement de l'Univers, l'argument de la contingence cherche à montrer que, même si l'Univers était éternel, il n'aurait pas en lui-même la raison de son existence et aurait donc une cause.
111 Voir Alexander Pruss, The Principle of Sufficient Reason. A Reassessement, Cambridge University Press, 2006, p. 189-321 ; Edward Feser, Five Proofs of the Existence of God, Ignatius Press, 2017, p. 147-168 ; Frédéric Guillaud, Dieu existe : arguments philosophiques, Cerf, 2013, p. 127-202.
112 Nous sommes conscients du fait qu'il existe quelques interprétations déterministes de la physique quantique. Mais elles sont ultra minoritaires chez les physiciens. Aujourd'hui, la quasi-totalité des interprétations de la physique quantique restent indéterministes. Nous sommes donc tout à fait prêts à reconnaître que ce quatrième argument n'est pas définitif ou absolument certain pour prouver la contingence de l'Univers. En revanche, nous maintenons qu'il a une certaine force, compte tenu du consensus scientifique actuel.
113 Pour être exact, la quantité d'objets sommés peut faire varier les propriétés extensives d'un système, mais pas ses propriétés intensives. D'une grande superposition de briques, il ne résulte pas une brique, mais un mur. En revanche, d'un grand empilement, même infini, de bols, il ne résultera jamais une pile d'assiette. Or, la contingence est une propriété intensive : chaque objet la possède en lui-même, indépendamment du fait qu'il soit ou non associé à d'autres.
114 Notons bien que cette conclusion n'est pas si étonnante, car l'être nécessaire est capable de créer un monde sans matière préexistante (du moins si l'argument du kalam est valable) ; et, comme la distance qui sépare l'être du néant est infinie, il semble logique que l'être nécessaire doive avoir une puissance infinie.
115 On pourrait aussi argumenter comme précédemment, en disant que l'être nécessaire doit avoir un degré non nul de connaissance (car il a été capable de concevoir l'Univers). Et comme il n'admet aucune limite arbitraire, il s'ensuit que son pouvoir de connaissance est illimité.