Remarque préliminaire sur la méthode de Thomas Durand
Avant d'aborder notre réponse de fond à l'auteur de Dieu, la contre-enquête, quelques remarques préliminaires s'imposent. Il faut savoir que la méthode argumentative de beaucoup de zététiciens face aux théistes tient en deux points :
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Psychanalyser le croyant en présupposant qu'il croit en Dieu à cause d'un besoin inconscient de réconfort, de consolation existentielle.
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Caricaturer les arguments théistes pour pouvoir mieux les réfuter 4 (bref, « attaquer des épouvantails »).
Nous analyserons les arguments théistes dans la seconde partie de cet ouvrage. Pour l'instant, nous nous contentons de répondre aux attaques psychologisantes de Thomas Durand, ainsi qu'à son épistémologie défectueuse.
L'angoisse existentielle
« On peut croire en Dieu pour de multiples raisons : par tradition, par émotion, en réponse à une angoisse existentielle, par sensibilité à une certaine esthétique de l'univers, pour donner un sens à la vie, par le sentiment d'une poésie à l'œuvre dans le cosmos..., mais ces motivations ne reposent pas sur des preuves rationnelles de l'existence de Dieu » (p. 262).
« Dieu "existe" en tant que concept investi de répondre à toutes les angoisses humaines. En cela, il est présent dans la vie des hommes et des femmes [...] » (p. 343).
Cet argument entre dans la catégorie du « sophisme génétique », méthode d'analyse consistant à critiquer ou à approuver une croyance ou une théorie, non pas en analysant son contenu, mais en se fondant sur son origine supposée, tout particulièrement sur les intentions attribuées à son auteur. Ce qu'il faut répondre à ces accusations, c'est que ce n'est pas parce que quelqu'un croit en Dieu pour de mauvaises raisons que Dieu n'existe pas. La vérité ou la fausseté d'une croyance ne dépend en aucun cas de l'origine de la croyance en question. On pourrait, à la limite, argumenter que certains croyants sont irrationnels s'ils croient uniquement par « angoisse existentielle » ou parce qu'ils ont grandi dans une « tradition religieuse », mais on ne saurait en déduire la fausseté de leur croyance.
Si l'athée ou le sceptique veut réfuter une religion, il doit donner des arguments contre sa doctrine spécifique, et non pas se contenter de s'attaquer aux « prédispositions mentales » des croyants. Imaginons que l'on dise à Thomas Durand : « On peut être athée pour de multiples raisons : par tradition, par émotion, en réponse à une rébellion existentielle contre l'autorité de Dieu, ou tout simplement par refus de regarder en face la réalité de son péché, mais ces motivations ne reposent pas sur des preuves rationnelles de l'inexistence de Dieu. » Ce serait un très mauvais argument contre l'athéisme, n'est-ce pas ? Cette affirmation ne saurait montrer que Dieu existe ou qu'il n'existe pas. Il en va de même pour ceux qui pensent que les religions sont fausses, car ils accusent les religieux de croire par désir d'être consolés ou par névrose obsessionnelle. Cette psychanalyse est hors sujet, précisément parce qu'elle ne s'attaque pas à la substance de la doctrine religieuse.
Même en admettant que je sois anxieux et que l'existence de Dieu me conforte face au néant et à l'absurdité de la vie, cela ne suffirait pas à montrer que ma croyance est fausse. On pourrait à la limite dire qu'elle n'est pas rationnellement justifiée, mais on ne saurait se fonder sur mes troubles psychologiques pour en conclure à l'inexistence de Dieu.
Vous comprenez alors en quoi l'affirmation « croire en Dieu, c'est avant tout et par-dessus tout vouloir qu'il existe » (p. 310) peut facilement se retourner contre l'athée. On pourrait lui rétorquer exactement l'inverse : « Ne pas croire en Dieu, c'est avant tout et par-dessus tout vouloir qu'il n'existe pas. » Nous ne serions pas bien avancés si l'on s'en tenait à une telle rhétorique... Ping-pong stérile.
Le lieu de naissance et la religion des parents ne prouvent rien
La même réponse s'applique à l'argument de Thomas Durand, selon lequel beaucoup de croyants adoptent la religion de leurs parents : « Les croyants adoptent généralement la religion de leurs parents ; ils font rarement le travail de comparer les mérites objectifs de toutes les religions disponibles [...]. » (p. 45).
Nous lui répondrons qu'on peut tout à fait croire des choses vraies pour de mauvaises raisons. Par exemple, on peut croire que l'esclavage est une pratique abominable, parce que nos parents nous l'ont dit. On peut croire que la Terre est ronde, parce qu'on l'a appris dans une bande dessinée pour enfants. On peut croire que la démocratie est le meilleur des régimes politiques, si l'on a eu des parents démocrates et qu'on n'a pas fait le travail de « comparer les mérites objectifs » de tous les régimes politiques. Il ne s'ensuit pas pour autant que les croyances « l'esclavage est immoral », « la Terre est ronde » et « la démocratie est le meilleur des régimes politiques » sont fausses.
De même, le fait d'être athée parce que vous êtes né dans une famille athée ne valide ou n'invalide en rien l'athéisme. Que vous soyez influencé par une culture n'implique pas que vos croyances soient vraies ou fausses. Le lieu de naissance prédispose à la transmission « contextuelle » d'une croyance, mais c'est tout. Il n'a strictement rien à voir avec la véracité ou la fausseté d'une croyance. Il est donc impossible d'en déduire la fausseté d'une religion.
Dieu, une idée réconfortante et consolatrice ?
« Quelle est la rhétorique du monothéisme ? Elle consiste à poser l'existence d'un Dieu tout-puissant qui aime le (vrai) croyant, qui veille sur lui, qui veut son bien et qui va le récompenser, [...]. C'est l'idée la plus réconfortante, la plus consolatrice qui puisse être. La religion s'adapte comme un gant à l'esprit humain, à nos biais, nos attentes, nos motivations, angoisses et aspirations » (p. 47-48).
Encore une fois, le fait qu'une idée soit réconfortante ou consolatrice n'implique pas qu'elle soit fausse. La réalité pourrait être joyeuse ou triste. Mais le fait qu'une croyance me rende joyeux ou triste n'est pas une démonstration de sa véracité ou de sa fausseté. Cela n'a tout simplement aucun rapport. De plus, le fait que la religion « s'adapte comme un gant à l'esprit humain » n'est pas étonnant si Dieu existe. En effet, si Dieu existe, alors il n'est pas totalement improbable qu'il ait créé des êtres humains avec ce désir de le connaître et de s'unir à lui dans un amour vrai. Il n'y a rien d'invraisemblable au fait que Dieu nous ait « façonnés » pour combler nos aspirations les plus profondes et que la croyance en Dieu soit donc « réconfortante » et « consolatrice ».