Attaques directes envers le christianisme (remise en cause de la fiabilité historique)
En ce qui concerne la personne du Christ, Thomas Durand reprend une forme de la thèse mythiste en disant que l'existence de Jésus est « improuvée 249 ». Il s'en explique en note de bas de page :
« Les historiens actuels considèrent en majorité qu'un Jésus historique pourrait bien avoir existé, que le nier n'est pas très scientifique, mais on ignore comment ce Jésus historique est défini : quels attributs doit-il posséder ? Quand doit-il être né, en quel lieu ? Où doit-il avoir séjourné ? Quels actes doit-il avoir accomplis ou quelles paroles doit-il avoir émises ? Si on n'éclaircit pas au moins un peu tout cela, le fardeau de la définition revient nous hanter et dire "Jésus a existé" est une phrase totalement creuse » (p. 161).
La thèse semi-mythiste que défend Thomas Durand est insoutenable au niveau académique 250. Les historiens s'accordent presque tous à reconnaître que Jésus a existé et que, même s'ils n'acceptent pas leur message en intégralité, les Évangiles et les lettres de saint Paul nous rapportent un grand nombre d'informations précieuses sur le Jésus historique.
Même l'historien du Nouveau Testament ultra-sceptique Bart Ehrman (assurément peu friand du christianisme) admet que
« les sources les plus anciennes et les meilleures que nous avons sur la vie de Jésus [...] sont les quatre Évangiles du Nouveau Testament. Ceci n'est pas seulement le point de vue des historiens chrétiens ayant une haute opinion du Nouveau Testament et de sa valeur historique. C'est également celui de tous les historiens sérieux de l'Antiquité au sens large, depuis les chrétiens évangéliques les plus convaincus jusqu'aux athées endurcis 251. »
Le spécialiste du Nouveau Testament Graham Stanton conclut : « Aujourd'hui, presque tous les historiens, qu'ils soient chrétiens ou non, acceptent que Jésus a existé et que les Évangiles contiennent beaucoup d'informations valables [...]. Il y a un accord général pour dire que, mis à part peut-être Paul, nous en savons beaucoup plus sur Jésus de Nazareth que n'importe quel chef religieux ou païen du deuxième siècle 252. »
Thomas Durand enchaîne avec d'autres accusations infondées :
« La Bible et le Coran ne sont pas des récits historiques fiables. Abraham et Moïse sont des personnages mythologiques. L'Exode, et ses quarante ans d'errance dans le désert, est un épisode fictif. [...] Les vies de Jésus et de Mahomet ont fait l'objet de constantes réécritures pour les besoins politiques de ceux qui tenaient la plume. [...] La confrontation des textes avec le réel ne s'avère pas assez époustouflante pour déclencher à elle seule des conversions en masse ; le succès des religions à travers l'histoire n'est pas le fait d'un dogme assez lumineux pour convaincre par ses seuls mérites, mais de la force militaire, de l'influence politique, de la pression sociale » (p. 162).
Que d'affirmations sans justification ! Thomas Durand ne donne aucun argument. Il se contente d'émettre des assertions en espérant que son lecteur sera d'accord avec lui. Malheureusement pour lui, ces assertions sont fausses et démontrent qu'il n'a jamais étudié sérieusement le sujet. Réfutons-les une par une.
- « La Bible et le Coran ne sont pas des récits historiques fiables. [...] Les vies de Jésus et de Mahomet ont fait l'objet de constantes réécritures pour les besoins politiques de ceux qui tenaient la plume. »
Il est parfaitement ridicule de faire ce procès au Coran. En effet, pour qui a fait l'effort de s'y intéresser et de le lire, il est évident que le Coran n'a aucune prétention historique. Il ne raconte pas une histoire : il délivre un enseignement. C'est un peu comme si l'on reprochait au Catéchisme de l'Église catholique de n'être pas un récit historique fiable. Rien de surprenant à cela, car ce n'est tout simplement pas son objet !
En ce qui concerne la Bible, nous répondrons que, contrairement à ce qu'affirme Thomas Durand sans la moindre argumentation, le Nouveau Testament est une collection de documents historiques qui retrace avec précision la vie de Jésus et des chrétiens au Ier siècle. Nous pouvons démontrer que ces écrits n'ont pas fait l'objet de « constantes réécritures », encore moins pour des « besoins politiques ». Les historiens sont aujourd'hui unanimes pour dire que l'on peut reconstituer la quasi-totalité du Nouveau Testament et savoir avec précision ce que nous disaient les auteurs originaux, démontrant ainsi que ces textes n'ont pas fait l'objet d'une quelconque réécriture.
D'abord, un petit rappel. Avant d'avoir été mise par écrit, la vie de Jésus fut d'abord racontée et transmise par tradition orale. On oublie parfois un peu vite que, dans les cultures ancestrales, certains étaient spécialisés dans cette technique ardue qu'est la mémorisation des récits, afin de les transmettre de génération en génération. C'est d'ailleurs grâce à cette pratique que nous avons aujourd'hui accès à un grand nombre de traditions anciennes.
Contrairement au téléphone arabe qui met tout en œuvre pour que le message soit dégradé avec le temps, les Anciens, eux, avaient de réelles techniques pour assurer une transmission orale authentique. Les règles de mémorisation et de répétitions multiples étaient maîtrisées et appliquées de manière précise par les experts. Ceux-ci transmettaient leurs enseignements oraux, en les répétant maintes fois, devant des foules, afin que toute la communauté puisse entendre et retenir les choses importantes. Si une personne faisait une erreur en répétant, la communauté entière aurait été susceptible de la corriger. En fait, les techniques des Anciens ressemblaient comme deux gouttes d'eau aux techniques que les acteurs de théâtre d'aujourd'hui utilisent pour mémoriser des pièces entières, sans recours aux notes. On retrouve ces traces de tradition orale à plusieurs reprises dans le Nouveau Testament, dans des petits « credos » faciles à mémoriser 253. La confiance que les rabbins portaient à la mémorisation était si grande que certains avaient interdit la mise par écrit de la Tradition orale 254.
Par conséquent, l'idée selon laquelle les Évangiles rapporteraient des légendes ne tient pas la route. Pour qu'une légende apparaisse, il faut que les témoins oculaires (ainsi que leurs enfants et leurs petits-enfants) soient morts depuis longtemps, laissant ainsi assez de temps pour que le compte rendu d'un certain événement soit grandement modifié et qu'il puisse s'inscrire dans l'imaginaire collectif. Les Évangiles et les épîtres ont été écrits beaucoup trop tôt pour que cela se produise. Les experts estiment que la fiabilité de la Tradition orale peut durer près de deux cents ans 255. Les écrits de l'historien grec Hérodote ont permis de démontrer que même le temps de deux générations est trop court pour que des légendes soient susceptibles d'effacer le message d'origine 256. Il n'en demeure pas moins que cette marge est largement suffisante pour préserver les propos authentiques de Jésus, environ trente ans plus tard (et même en cas de datation tardive pour l'Évangile de Jean, soixante ans après les faits).
Certes, il est vrai que nous ne possédons plus les manuscrits originaux du Nouveau Testament. Cela pourrait inquiéter les personnes non informées en matière de critique textuelle, mais il faut savoir que cela est tout à fait normal. Nous n'avons accès à aucun manuscrit original des textes de l'Antiquité. Nous ne possédons pas la République de Platon ou l'Iliade d'Homère ou la Guerre des Gaules de Jules César. Il en va de même pour les œuvres des historiens romains et juifs les plus connus du Ier siècle. Nous ne détenons pas les manuscrits originaux des Antiquités juives de Flavius Josèphe, ni les Annales de Tacite, ni les écrits de Suétone, etc.
Ces œuvres ont été écrites sur des papyrus ou sur des peaux d'animaux qui se sont désagrégés avec le temps. Heureusement, la critique textuelle est tout à fait capable de reconstituer le contenu des documents originaux. Tant que nous avons assez de copies des manuscrits, nous pouvons les comparer et reconstruire le texte d'origine avec un degré de précision très élevé. Par exemple, même si nous n'avons plus les écrits de Platon, nous pouvons comparer les 250 copies des manuscrits auxquelles nous avons accès, afin de reconstruire le manuscrit original et savoir ce que Platon a vraiment dit.
Pour beaucoup d'œuvres de l'Antiquité, nous ne possédons que quelques manuscrits, parfois une seule copie de l'original écrit des centaines voire des milliers d'années plus tard ! Cela n'empêche pas les historiens d'étudier sérieusement ces sources et d'en tirer le message original en substance.
Venons-en à présent aux écrits du Nouveau Testament. Il n'est pas exagéré de l'appeler le manuscrit des records ! En effet, il dépasse de loin tous les manuscrits de l'Antiquité en termes d'attestation historique.
-
Nous avons au total plus de 24 000 manuscrits, dont 5 800 en grec, 10 000 en latin et entre 500 et 1 000 en d'autres langues (syriaque, copte, etc.).
-
Parmi les manuscrits grecs, 50 peuvent être datés à 250 années des originaux et 500 datent d'avant l'an 500.
-
La première copie intégrale du Nouveau Testament (codex Vaticanus) remonte aux alentours de l'an 325, c'est-à-dire 250 ans environ après les manuscrits originaux.
En comparaison, prenons le deuxième manuscrit le mieux attesté de l'Antiquité : l'Iliade d'Homère. L'Iliade a été écrite huit cents ans avant Jésus-Christ. Bien que nous en ayons quelques fragments de son œuvre datant de 400 av. J.-C., le premier manuscrit complet de l'Iliade date du Xe siècle ! Cela fait plus de 1 800 ans d'écart entre l'original et la première copie intégrale !
De même, les manuscrits les plus anciens de la Guerre des Gaules de Jules César datent du début du Xe siècle (soit plus de neuf cents ans après la mort de l'auteur). Au total, il n'existe que 251 copies manuscrites de cet ouvrage et, pourtant, les historiens considèrent la Guerre des Gaules comme étant une source historique sérieuse, bien qu'elle soit cent fois moins bien attestée que les manuscrits du Nouveau Testament.
Comme le dit Louis-Marie de Blignières,
« les témoins manuscrits intégraux du Nouveau Testament sont donc à moins de trois cents ans des faits rapportés (et a fortiori de leur rédaction primitive), les plus anciens fragments probablement à trente ans 257. En comparaison : pour Homère, il faut compter quelque 1 800 ans entre la rédaction et le plus ancien manuscrit intégral connu ; pour Eschyle, 1 500 ans ; pour Tacite, 1 400 ans ; pour Platon, 1 300 ans ; pour Jules César, 1 000 ans ; pour Virgile, 800 ans. Le nombre des témoins et leur proximité de la première rédaction placent déjà le texte du Nouveau Testament, sous ce rapport, en tête de la littérature de l'Antiquité 258. »
Nous comprenons alors en quoi le Nouveau Testament est incroyablement mieux attesté que tout autre manuscrit de l'Antiquité. Pour bien faire comprendre cette différence radicale, les historiens J. E. Komoszewski, M. J. Sawyer et D. B. Wallace proposent l'analogie suivante : « Si l'on suppose que le manuscrit moyen fait cinq centimètres d'épaisseur, et si l'on entassait toutes les copies de l'œuvre d'un auteur grec de l'Antiquité, cette pile ferait en moyenne 1,2 mètre, alors que les copies du Nouveau Testament s'élèveraient à 1,6 kilomètre ! Voici ce qu'on appelle un embarras de richesses 259. » Voyez le résultat par vous-même :
(Légende) Comparaison du nombre de manuscrits datant de l'Antiquité avec ceux du Nouveau Testament.
Cette abondance de manuscrits nous permet de les comparer et de nous assurer qu'ils ont été fidèlement transmis jusqu'à nous avec très peu de variantes. Cela signifie qu'ils communiquent de manière fiable leur message d'origine et qu'ils ne sont pas un conglomérat de légendes qui s'est construit lentement au fil du temps. S'il y avait un grand nombre d'erreurs de falsifications, cela serait aisément détectable en comparant les manuscrits de régions différentes. Rappelons que les nombreuses copies ont été effectuées par des scribes professionnels, formés et payés pour réaliser minutieusement leur travail. L'idée qu'ils aient pu être eux-mêmes les auteurs de changements pour des raisons idéologiques contredit tout ce que nous savons sur les scribes de l'Antiquité 260. En effet, copier des manuscrits sacrés était une manière de glorifier Dieu : les scribes considéraient donc leur travail comme une mission sacrée, et mettaient tout en œuvre pour l'exécuter soigneusement.
En plus des scribes de l'Antiquité, nous avons aussi le témoignage des premiers chrétiens (Clément de Rome mort en 96, Ignace d'Antioche qui rédige ses lettres en 107, et Polycarpe de Smyrne en 120). Ils attestent qu'ils connaissent 25 des 27 textes du Nouveau Testament (seuls Jude et la troisième lettre de Jean — des écrits très courts — ne sont pas mentionnés). On dispose d'environ 36 000 citations du Nouveau Testament par les Pères de l'Église. Par conséquent, même si les manuscrits qu'ils consultaient n'existent plus aujourd'hui, ils demeurent préservés dans leurs écrits. Aussi, l'exégète athée et sceptique Bart Ehrman admet lui-même que les écrits de ces premiers Pères constituent des sources si abondantes qu'ils permettraient à eux seuls de reconstituer quasi intégralement le Nouveau Testament si l'ensemble des 24 000 manuscrits que nous possédons étaient détruits 261.