Le problème du libre arbitre au paradis
Thomas Durand expose un dilemme sur le libre arbitre au paradis :
« Et là se pose la question du libre arbitre. [...] Si les occupants du paradis conservent leur libre arbitre, alors le paradis est un monde où des êtres doués de conscience, de volonté, de sensation peuvent agir librement tout en étant à tout jamais délivrés du mal. Et si tel est le cas, plus personne ne saurait affirmer que Dieu ne pouvait pas créer la Terre avec ces propriétés. On peut objecter que la liberté n'est pas une fin en soi, mais simplement un moyen par lequel le créateur obtiendrait un bien incommensurable. Mais alors le libre arbitre ne peut plus justifier le monde que nous avons sous les yeux puisque Dieu aurait pu faire sans » (p. 179).
Ici, le zététicien semble objecter que, puisqu'il est possible d'avoir des créatures libres qui ne pèchent jamais au paradis, alors Dieu aurait pu créer des créatures libres qui ne pèchent jamais dès maintenant sur cette Terre.
Cette question est complexe. Pour y répondre, nous devons d'abord traiter d'une question préliminaire : garderons-nous notre libre arbitre au paradis ? Si oui, pourra-t-on pécher ? Certains théologiens affirment que nous perdons notre libre arbitre au ciel. Selon eux, notre volonté est fixée après la mort par notre choix libre et définitif en pleine connaissance de cause. Il n'y a pas de « retour en arrière » possible en raison de cette lucidité plénière, donc plus aucune possibilité de pécher. D'autres théologiens estiment que nous aurons effectivement un libre arbitre au paradis (car l'amour présuppose le libre arbitre). En revanche, ils soutiennent que personne ne choisira de pécher en pratique. Il nous semble que leur position est bien fondée. En effet, les motifs de nos péchés sur terre s'articulent autour de trois raisons principales : 1) le sexe ; 2) l'argent ; 3) le pouvoir. Or, il n'y aura plus cela au ciel ! Nous n'aurons plus aucun motif de péché, ni aucune tentation une fois que nous contemplerons Dieu face à face 238. Nous péchons aujourd'hui parce que nous mettons tout en œuvre pour combler vainement nos désirs. Or, au paradis, le désir humain sera parfaitement comblé par Dieu. Il n'y aura donc plus aucune raison de pécher, d'autant plus que nous aurons eu connaissance des conséquences dévastatrices du péché sur notre âme. Par conséquent, nous garderons notre libre arbitre, mais personne ne choisira de pécher en pratique.
Thomas Durand émet alors une deuxième question tout aussi importante. Si avoir un libre arbitre sans commettre de péché est possible au paradis, alors pourquoi Dieu n'a-t-il pas créé des créatures libres qui ne pécheraient jamais, dès maintenant sur cette terre ? Ici, nous pouvons répondre que, sans le péché, il n'y aurait plus la possibilité de connaître le bien immense qu'est la rédemption. « Heureuse faute qui nous a valu un tel et si grand Rédempteur », dit l'Exultet, chant de triomphe de l'Église à Pâques. La manifestation de l'amour divin est d'autant plus grandiose qu'elle est réparatrice. Il ne peut y avoir de rédemption s'il n'y a pas eu de péché. Par conséquent, si Dieu avait créé le paradis tout de suite (ou un monde comme le nôtre sans la possibilité du péché), il nous aurait privés d'un grand bien : l'accès à la connaissance de sa miséricorde infinie.
Thomas Durand nous pose alors une dernière question :
« Si un être parfait n'est pas en mesure de choisir de créer un univers dans lequel chacun choisirait toujours, librement, de faire le bien, alors comment se pourrait-il qu'un être parfait soit en mesure de choisir de créer un paradis dans lequel chacun choisirait toujours, librement, de faire le bien ? » (p. 179).
Comment Dieu peut-il s'assurer que tous ceux qui entrent au paradis feront toujours librement le bien ? Eh bien, tout simplement parce qu'il connaît à l'avance nos futures actions et sait comment nous agirons librement à l'avenir. Avec cette connaissance éternelle qu'il a de chacun de nous, Dieu permet à certains d'accéder au paradis, à d'autres non. Il s'assure que tous ceux qui entrent dans son Royaume, bien que libres de pécher en théorie, ne choisiront jamais de le faire en pratique. Étant donné que Dieu sait comment nous allons faire usage de notre libre arbitre dans le futur, il peut s'assurer que tous ceux qu'il laisse entrer au ciel n'utiliseront jamais leur libre arbitre pour pécher.
Ici, Thomas Durand pourrait sans doute objecter : « Mais alors, pourquoi Dieu ne crée-t-il pas dès maintenant uniquement les hommes dont il sait à l'avance qu'ils utiliseront toujours leur libre arbitre pour faire le bien ? » Après tout, si Dieu peut s'assurer que tous ceux qui entrent au paradis n'utiliseront jamais leur libre arbitre pour pécher, alors pourquoi ne pourrait-il pas choisir de créer uniquement les êtres humains dont il sait à l'avance qu'ils ne pécheront jamais sur cette terre ? Nous répondrons qu'il n'est peut-être pas métaphysiquement possible de créer un monde dans lequel tout le monde choisit librement de faire le bien sans avoir jamais connu l'expérience du péché.
Que les personnes au paradis ne pèchent plus jamais est peut-être dû au fait qu'elles ont déjà fait l'expérience des effets dévastateurs du péché. En conséquence, elles ne seront plus jamais tentées de recommencer une fois arrivées dans la contemplation éternelle de Dieu. Au contraire, il est tout à fait possible que, dans n'importe quel monde où personne n'a jamais connu les effets dévastateurs du péché, certains finiront par pécher de fait.
Ajoutons aussi que, même s'il était possible que Dieu crée un monde dans lequel tout le monde choisit librement de faire le bien sans avoir connu l'expérience du péché (chose que nous contestons), ce monde serait privé de la possibilité de la rédemption et priverait les êtres humains de l'accès à la connaissance de la miséricorde infinie de Dieu (car la miséricorde présuppose le péché).